mercredi 4 décembre 2013

Maître Canoy : la communication de Vivendi était là pour enfumer


L’audience du 19 novembre 2013 est consacrée aux plaidoiries des parties civiles victimes des dérives de Vivendi et ses ex-dirigeants, rejugés devant la 5ème chambre de la Cour d’appel de Paris. Deontofi.com publie les quatre principales plaidoiries. Maître Frédérik-Karel Canoy, premier avocat à avoir porté plainte contre Vivendi il y a plus de dix ans, ouvre cette série. (Tout le feuilleton ici)
Deuxième partie de la plaidoirie de Maître Frédérik-Karel Canoy (2 sur 3) :


Maître Frédérik-Karel Canoy, le premier avocat à avoir dénoncé le scandale Vivendi. (photo © GPouzin)

Sur le caractère intentionnel, il résulte suffisamment de la matérialité des faits. Comme le juge de façon constante la Cour de cassation, la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3 alinéa 1 du Code pénal.

Dans un courriel du 2 mars 2002 à Jean-Marie Messier, Guillaume Hannezo dit : « Nous ne sommes pas dans une période normale mais dans une période où ça passe ou ça casse. Tu joues nos jobs et notre réputation. Ce que les gens cherchent à savoir, c’est si Vivendi Universal est une grande escroquerie comme Enron ». C’est la plus grosse faillite de l’histoire de France, poursuit Maître Canoy. C’est la faillite d’un système, des analystes, des commissaires aux comptes et de la gouvernance d’entreprise. Le rapport de la COB le dit, les commissaires aux comptes ont failli. 

Maître Frédérik-Karel Canoy, l’avocat qui a déposé la première plainte contre Vivendi et ses dirigeants. Dessin ©Yanhoc


Comme par hasard, au greffe, il manque les 60 pages du rapport concernant les observations des commissaires aux comptes. Pour l’avoir évoqué à la presse, Monsieur Cornardeau (NDLR, président de l’Association des petits porteurs actifs APPAC) a reçu une plainte en diffamation d’un million d’euros, alors que c’est factuel et rapporté par trois juges. L’avocat poursuit la lecture du courriel compromettant : « A toi de jouer, mais tu annonces une perte et du cash alors qu’il n’y a pas de cash ». Là, ils ont conscience de la fausse information, commente Frédérik-Karel Canoy. C’est être d’une mauvaise foi patente de dire qu’il n’y a pas d’élément intentionnel.

Dans le communiqué de presse du 19 décembre 2000, Jean-Marie Messier indique que « sur une base pro forma au 1er janvier 2001, Vivendi Universal sera donc net de dettes pour ses activités communication tout en disposant pour les deux années qui viennent, tant d’un cash flow libre supérieur à 2 milliards d’euros que de la capacité de réaliser certains actifs »Mettez vous à la place du petit porteur ! Quand c’est net de dette, il n’y a pas de dette, alors qu’à ce moment même il y a près de 30 milliards d’euros de dettes. On a bien compris que ce type de communication était là pour enfumer !

La fougue passionnée du défenseur des épargnants fait d’abord sourire l’avocate générale dont l’hilarité croissante semble indiquer que cette pédagogie de l’affaire la réjouit.
Je parle des petits porteurs, poursuit Frédérik-Karel Canoy, mais il y en a de toutes les conditions. Madame Chirac m’a dit un jour avec un air malicieux « Maître Canoy, moi aussi j’ai des actions Vivendi ». Les petits porteurs sont-ils petits ? Non, ils peuvent être aussi investisseurs institutionnels. Il y a un mépris vis-à-vis des actionnaires comme on l’a vu au fil de ces audiences.

Il relit des extraits du communiqué de Jean-Marie Messier du 22 juillet 2001 : « Les résultats sont nettement supérieurs au consensus du marché… Avec les taux de croissance de l’industrie et les multiples les plus bas, nos actions sont certainement à un cours intéressant au niveau actuel » etc, etc, etc. Vous avez des communiqués de presse comme ça le 11 février 2002, le 5 mars 2002, le 29 avril 2002, le 30 mai et le 25 juin 2002. Mais si vous voulez analyser aujourd’hui ces communiqués de presse, ils ne sont plus sur le site web de Vivendi. Ils ont simplement et purement disparu, comme par hasard.

La présidente de la Cour d’appel, Mireille Filippini, rejuge l’affaire Vivendi. Dessin ©Yanhoc

-         Nous, Maître, on est saisis de quatre communiqués au plan pénal, rappelle la présidente dans son rôle d’arbitre en même temps qu’elle souligne peut-être sans le vouloir le caractère minimaliste des poursuites pénales au regard d’une longue méconduite.
-         J’éclaire la Cour sur le fait qu’en dehors de ces quatre communiqués, il y en a eu d’autres, et des courriers individuels aux actionnaires qui valent leur pesant d’or ! L’avocat lit des extraits d’une lettre de mars 2002 signée par Jean-Marie Messier : « Chers actionnaires, tous nos objectifs opérationnels ont été atteints ou dépassés. Vous pouvez être étonnés que Vivendi affiche une perte comptable de 13 milliards. Cela résulte de normes méritant explication en toute transparence. Précisons qu’il s’agit d’un effet comptable. Cet effort de transparence devrait fortement réduire la crédibilité des rumeurs. Le marché boursier ne nous rend pas justice, c’est une évidence ». Le président du directoire, Jean-Bernard Lévy déclarera le 12 novembre 2003, suite à l’audition de Jean-Marie Messier par le député Pascal Clément  (NDLR, dans le cadre de la Commission des lois de l’Assembléenationale du 15 octobre 2003) : « Nous ne pouvons pas
laisser Monsieur Messier énoncer autant de contrevérités manifestes sans réagir, compte tenu du retentissement médiatique de cette audition, alors que Vivendi a enregistré 25,9 milliards de pertes en 2002 en plus d’une crise financière qui aurait pu être fatale ». Bernard Arnault, membre du conseil d’administration, dans la procédure arbitrale de New York, dit : « L’un des ennuis avec vous, Jean-Marie Messier, est que la vérité et vous, vous vous êtes rarement rencontrés ». On continue sur les mensonges ?

Dans la dernière procédure sur Liberty Media douze jurés ont obtenu une indemnisation de 760 millions de dollars, soit 20,50 par action, sur la fausse information. Un actionnaire, peut-être pas individuel mais institutionnel, a obtenu une indemnisation de son préjudice. Dans cette procédure, madame Brassens, chargée de mission à l’inspection des finances répond à une question sur la dette, c’est le transcript 351 : « 30 milliards ». Cela n’a jamais été communiqué dès le départ. Le 25 septembre 2002, Mr Fourtou dit à propos de la situation du groupe qu’il est « trop endetté et insuffisamment rentable ». Toute cette communication avait pour objectif de cacher la dette.
Sur l’abus de biens sociaux, poursuit l’avocat. Le secrétaire général du groupe Vivendi, Jean-François Dubos, dit dans un courrier à Jean-Marie Messier du 2 août 2002 : « votre bonus s’élève à 2 millions ». Il reçoit quand même un bonus ! Concernant la procédure arbitrale, le problème est qu’il manque les deux tiers des scellés du dossier d’instruction. Dans le scellé Vivendi Universal 113, on a droit aux factures d’honoraires des avocats pour la procédure arbitrale du 1er novembre 2002 au 30 janvier 2003, qui atteint 848 448 euros pour trois mois.

Le préjudice moral pour les actionnaires est que quand vous perdez de l’argent, vous êtes contrarié. Pourquoi l’indemnisation de cette perte serait-elle fixée à 10 € par action ? C’est la jurisprudence de la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel ? Non. La loi dit que la réparation du préjudice doit être intégrale. Je ne l’ai pas vue. Il faut se mettre à la place des gens qui ont perdu, ce n’étaient pas des spéculateurs. D’un côté il y a 20 millions d’euros de golden parachute, et c’est oublier l’inventaire à la Prévert de tous les avantages, on a parlé de l’appartement de New York, du chauffeur de madame, de l’utilisation des avions pour des voyages de plusieurs millions dont on ne sait pas si les actionnaires en ont été informés, pour transporter des chaises de jardin. Il y a eu des sommes utilisées à titre personnel, mais les pièces pour caractériser le délit ont disparu dans un incendie.

Je voudrais surtout axer mon propos sur l’information mensongère. Une des questions qui se pose est que le cumul de sanctions pécuniaires de l’AMF ne fait pas obstacle à la sanction pénale, puisqu’il a été concrètement appliqué pour le dossier Sidel, tant en première instance que dans cette chambre en appel.

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