vendredi 28 mai 2010

ACTUALITÉ

Donc, Gordon Gekko, le sinistre héros à bretelles de «Wall Street», sort de prison. Dans « Wall Street 2 : l'argent ne dort jamais», le voici relâché avec ses petites économies, 9 millions de dollars, après vingt-deux ans de détention. A peine a-t-il touché le pavé qu'il constate - quelle surprise ! - que le monde de la finance est pourri. Que dis-je ? Moisi, avarié, décomposé. Mais les gros sous continuent à pleuvoir, et comment ! «La règle du jeu a changé. Les bénéfices se sont multipliés au carré. En 1987, lors du premier «Wall Street», on parlait en millions de dollars. Aujourd'hui, on ne mentionne que les milliards ! Quelle arrogance !», s'exclame Oliver Stone, ravi, une fois de plus, de provoquer la polémique. Il attaque, bille en tête, les «pigs» de la Bourse, incendie les princes des hedge funds, désosse le système. Gordon Gekko (Michael Douglas) a-t-il changé ? Son fils s'est suicidé, sa fille ne lui parle plus, notre homme a les cheveux blancs. Jacob Moore (Shia LaBeouf), un jeune trader amoureux de la fille de Gekko, est menacé par un squale de la finance (joué par Josh Brolin). Gekko, dont l'expérience est précieuse, s'offre à donner un coup de main : pourra-t-il se rapprocher de sa fille grâce à cette rédemption tardive ? Nouvelle plongée dans la cour des miracles du pognon. Un chèque peut sonner le glas d'une société, un ordre de Bourse peut exécuter des milliers d'épargnants. La carte de crédit est une arme de destruction massive.
«En 1982, j'étais immergé dans le milieu de la dope à Miami. Je fréquentais des dealers, des mafieux. J'en ai tiré le scénario de «Scarf ace». Quand je suis remonté à New York, c'était pire : les gens se faisaient de l'argent à une vitesse incroyable. Wall Street, c'était «Scarf ace chez les traders». » Oliver Stone sait de quoi il parle : depuis vingt-cinq ans, il dénonce les faux-semblants de la société américaine. Soit : la politique impérialiste, avec « Salvador » (1986) ; l'engagement au Vietnam avec «Platoon» (1986) ; le complot qui a mené à l'assassinat d'un président, avec «JFK» (1991); la crapulerie bonhomme de George W Bush, avec « W » (2008)... Même quand il tourne « Alexandre » (2004), saga d'un conquérant de l'Antiquité, il parle des Etats-Unis. Oliver Stone est un polémiste, doublé d'un teigneux. Il ne fait pas la guerre en dentelles, mais au lance-flammes. Quand il s'agit de Wall Street, le cinéaste a un compte à régler. Un compte particulier.
Son père, Louis Silverstein (le nom a été changé en 1927) était un fils de famille. En voyé à Harvard, habitué à la grande vie bourgeoise, il a découvert les réalités de la vie quand son propre père, Joshua Silverstein, lui a demandé : «Le chèque de 1 000 dollars que je t'ai envoyé cet été, tu l'as toujours ? Renvoie-le. » Entre-temps, en octobre, la Grande Crise avait eu lieu. Louis Stone renvoya les sous et, humilié devant ses pairs de l'Ivy League, se jura qu'il ne manquerait plus d'argent. Il devint financier. Responsable de la tirelire de l'armée américaine en 1944, membre du staff d'Eisenhower, il rencontra Jacqueline Goddet, une jolie Française, sur les ChampsElysées, l'épousa. Plus tard, Louis Stone, entre deux cotations, emmenait son fils voir des films. A 9 ans, celui-ci vit « Sur les quais ». Oliver Stone a dédié « Salvador » et « Wall Street » à son père, cet homme qu'il a adoré, cet homme si lointain, dévoré par la conquête de l'argent, mort un Martini à la main. Celui-ci a laissé un mot d'ordre à son fils : « Tous les jours, fais quelque chose que tu n'as pas envie de faire. » Le gamin a fait le contraire : il est parti au Mexique, a trafiqué de la dope, s'est retrouvé en prison, a écrit un gros livre, l'a jeté dans un fleuve, est parti au Vietnam, en est revenu carbonisé, puis, drogué, usé, halluciné, a dérivé à New York, alors que la ville célébrait le deuxième centenaire de l'Indépendance. Il a regardé les feux d'artifice, si semblables aux bombes au phosphore, puis est devenu cinéaste.
«J'ai soumis le scénario de «Wall Street 2» en 2006. Mais il n'y avait aucune urgence. Puis les choses se sont accélérées » Brusquement, tout le système était ébranlé : Bernard Madoff venait de perfectionner génialement une escroquerie banale, les « fonds pourris » contaminaient tout, les banques fermaient, la crise engloutissait des milliards. « Le capitalisme a eu sa crise cardiaque », pointe Oliver Stone. Mais l'argent ne dort jamais, c'est une chose qui n'a pas changé. Ce qui a changé, en revanche, c'est tout le reste : Michael Douglas ne porte plus les chemises rayées à col uni de « Wall Street ». Il n'a plus son gros téléphone portable Motorola DynaTAC 8000X, ni son Filof ax, ni son ordinateur IBM PS/2 fonctionnant au DOS 3.3. Désormais, il possède un BlackBerry Bold 9700 et un iPad Apple. Il ne fume plus de cigares, c'est mauvais pour la santé. « Wall Street 2 » est un film bio.
Mais Oliver Stone ne s'arrête pas là. Depuis quelques mois, il travaille sur une série documentaire d'une dizaine d'heures qui retrace l'histoire moderne des Etats-Unis sous un éclairage différent. Il a dit : « Hitler a été un bouc émissaire », ce qui a provoqué une levée de boucliers. Prié de s'expliquer, le cinéaste a précisé : «Hitler a été une créature américaine autant qu'allemande. Son ascension a été financée par des hommes d'affaires américains... » Dont un certain Joe Kennedy, père de JFK, et Henry Ford qui, pour chaque voiture modèle T (il en vendit 15 millions !), offrait à l'acquéreur un exemplaire des «Protocoles des sages de Sion». N'oublions pas Lindbergh, qui voyait en Hitler un allié indispensable. Inutile de dire que pareille leçon d'histoire n'est pas du goût de tout le monde. « Oliver Stone's Secret History of America » couvrira les années 1900-2010 et expliquera « comment nous sommes devenus un empire, comment nous sommes passés dans un régime militariste, et comment la paranoïa sécuritaire nous a engloutis ». Au rang des accusés : Kennedy, avec ses potes gangsters; Johnson, avec les crapuleries de la guerre du Vietnam ; Nixon, avec le mensonge érigé en système de gouvernement; les deux Bush, avec la désinformation de la guerre au Moyen-Orient... «L'hypocrisie est totale», dit Oliver Stone. Rendons-lui cette grâce : il n'a pas tort.
« Wall Street » a étrangement suscité des vocations : combien de jeunes diplômés sont devenus traders après avoir vu le film en 1987 ? De même, « Wall Street 2 » déclenche, aujourd'hui, une mode : le film-krach. La BBC vient de diffuser : « The Last Days of Lehman Brothers»; plusieurs adaptations de la biographie de Bernard Madoff sont en route ; et, cerise sur le gâteau, on chante et on danse dans « Enron », la comédie musicale de Broadway. Jérôme Kerviel, Noël Forgeard, Jean-Marie Messier, nouveaux héros de cinéma ? Pourquoi pas ? On vit une époque formidable.

« Wall Street : l'argent ne dort jamais », d'Oliver Stone. A Cannes, sélection officielle (hors compétition) le 15 mai. Sortie en salles en septembre.


François Forestier

« Draquila »
Moi aussi, j'ai voulu raconter l'Italie d'aujourd'hui. L'étrange, l'inquiétant autoritarisme qui règne dans ce pays», s'emporte Sabina Guzzanti en plein mixage de «Draquila », qui n'a pas digéré « les scènes de propagande qui ont accompagné le tremblement de terre des Abruzzes ». « Draquila », c'est d'abord la contraction de « Dracula » et de « l'Aquila », cette ville de l'Italie centrale détruite par le séisme d'avril 2009. Mais c'est surtout un portrait au vitriol de Silvio Berlusconi, qui a transformé en show télé l'après-tremblement de terre. Avec des scènes limites quand il offre un dentier à une vieille sinistrée ou apostrophe un groupe d'ouvriers du bâtiment ainsi : «Mais alors, vous êtes tous gays, je ne vois pas une seule fille ! La prochaine fois je vous en amène !» Au-delà des anecdotes, la réalisatrice de ce documentaire de 90 minutes veut dénoncer la gestion et l'exploitation médiatique de cette catastrophe. Silvio Berlusconi ou l'art de remonter dans les sondages sur fond de ruines...

« Draquila », de Sabrina Guzzanti, à Cannes, sélection officielle (hors compétition).


Marcelle Padovani

Des leçons mal apprises… qui coûtent cher, par Antoine Garapon et Daniel Schimmel

Le récent verdict rendu dans l'affaire Vivendi par un tribunal fédéral américain illustre une nouvelle fois le poids de la culture dans les relations économiques et juridiques mondialisées, ainsi que la nécessité, voire l'urgence, de tirer les leçons de chaque affaire d'importance comme celle-ci.

Un commentateur a comparé ce procès à la "comète de Halley" tant il est exceptionnel ; il est étranger à la puissance trois (foreign-cubed) puisqu'il porte sur des valeurs mobilières émises à l'étranger par une société étrangère poursuivie par des actionnaires étrangers.

Rappelons brièvement les faits. Le 29 janvier 2010, au terme d'une class action introduite en juillet 2002 devant le tribunal fédéral de New York, un jury a condamné Vivendi pour violation du droit boursier américain. Après sept ans de procédure, quatre mois de procès et trois semaines de délibérations, les jurés ont jugé que Vivendi avait trompé ses actionnaires américains, français, anglais et néerlandais, sur sa situation financière entre octobre 2000 et août 2002.

Le jury a donc estimé que les documents qui lui ont été présentés étaient trompeurs et a condamné Vivendi mais exonéré son ancien PDG, Jean-Marie Messier, et son ancien directeur financier, Guillaume Hannezo. Selon les avocats des demandeurs, ce verdict permettrait aux investisseurs de recouvrer plusieurs milliards d'euros. Vivendi a annoncé son intention de faire appel. Voilà pour les faits, quelles sont les leçons ?

LA TRANSACTION COMME ABOUTISSEMENT ORDINAIRE DES CONTENTIEUX

La première différence porte sur la fonction du procès civil : si en France le jugement est l'aboutissement naturel d'un contentieux porté devant une juridiction, ce n'est pas le cas aux Etats-Unis, où c'est au contraire la transaction. En choisissant de mener l'affaire jusqu'au trial plutôt que de transiger, Vivendi a méconnu les risques de tout procès civil qui se déroule devant un jury. Les parties évitent le trial (dans plus de 98 % des cas, les actions civiles fédérales font l'objet d'une transaction avant le trial) en raison de son coût qui peut atteindre plusieurs millions de dollars dans les litiges complexes, et surtout de son imprévisibilité. L'absence de transaction a permis à neuf jurés populaires de se prononcer sur la bonne application par Vivendi de normes comptables sur lesquelles les financiers et les juristes les plus compétents ont parfois du mal à s'accorder.

LA FONCTION POLITIQUE DU JURY

Le trial n'a donc pas la même fonction procédurale que son homologue français, mais il n'a pas non plus – seconde différence de taille – la même signification sociale.

Si chez nous, le procès est le moyen de rétablir une partie "dans son bon droit" (ce qui pousse le défendeur à aller jusqu'au bout pour laver l'outrage public d'avoir été assigné, la France restant très imprégnée d'une "culture de l'honneur" pour reprendre l'excellente expression de Philippe d'Iribarne), aux Etats-Unis, le trial by jury est moins affaire d'honneur que de répartition des richesses. Ce que la politique aux Etats-Unis ne peut donner (la redistribution est en effet plus faible qu'en France), le droit peut l'offrir par un "second tour" judiciaire. Fonction redistributive d'autant plus puissante qu'il est notoire que les jurés américains n'ont pas une sympathie particulière pour les grandes entreprises, et qu'ils ont une tendance naturelle à condamner les entreprises qui ont "les poches profondes" (deep pocket). Cela explique peut-être en partie la décision en apparence singulière, de condamner la société Vivendi tout en exonérant MM. Messier et Hannezo.

La présence d'un jury n'est justifiée ni par l'efficacité de la justice (des juges professionnels sont infiniment plus sûrs), ni par le souci de rationaliser l'application du droit mais pour sa dimension politique qu'avait bien perçue Tocqueville. Le droit à voir toute affaire – civile ou pénale – jugée par un jury de ses pairs, garantit par le septième amendement de la Constitution, a avant tout une dimension politique, qui s'exprime dans le spectacle du procès : ce qui est mis en scène, c'est l'égalité démocratique. Le spectacle qu'offre le procès civil comme celui de Vivendi, c'est précisément celui des puissants mis sur le grill devant un jury d'hommes ordinaires, c'est la soumission de tous, non pas devant la loi conçue de manière abstraite comme en France, mais devant d'autres citoyens, devant le peuple américain constitué en jury.

LA CRÉDIBILITÉ DES TÉMOINS

De là, une troisième différence culturelle : la vérité judiciaire d'une affaire n'est pas cherchée de la même manière ici et là-bas. Si pour un Français, elle est une opération rationnelle et technique qui se déduit du croisement de documents écrits avec des textes de loi, elle résulte pour un Américain, d'un jugement social induit par le crédit accordé à des personnes en chair et en os, mieux : d'une rencontre formalisée par le trial. Un objectif majeur du procès américain est ainsi de permettre aux jurés d'évaluer la crédibilité des témoins. De là la force politique rehaussée par le spectacle du procès américain ; de là aussi son immense fragilité. C'est la raison pour laquelle les parties ne sont prêtes à supporter les incertitudes du trial aux Etats-Unis que dans la mesure où les faits essentiels de l'action sont contestés et que les efforts pour trouver une transaction ont échoué. Le procès s'organise alors autour de la confrontation réglée de deux versions des faits de la cause (theory of the case). Il s'agit d'un spectacle qui requiert des acteurs (avocats et témoins), un arbitre (le juge ou le jury), une trame (des versions des faits en conflit) et un enjeu (emporter la conviction d'hommes ordinaires sur sa bonne foi pour faire triompher sa thèse).

Le procès Vivendi n'a pas échappé à la règle à en croire les instructions écrites du juge pour le jury : "Vous êtes les seuls juges de la crédibilité de chaque témoin et de l'importance de son témoignage (…) Souvenez-vous toujours que vous devez faire appel à votre bon sens, votre jugement, et votre expérience de vie personnelle". C'est en définitive ses intuitions personnelles que le jury a été invité à utiliser.

Un tel rôle accordé au jury change – ultime différence – le rôle de l'appel. Dans la culture juridique américaine, une fois que les jurés se sont prononcés sur les faits et la crédibilité des témoins, au terme de ce spectacle dramatique et coûteux que constitue le trial, la cour d'appel n'a qu'un pouvoir très limité de révision des faits et du verdict. Elle fait généralement preuve d'une grande déférence vis-à-vis des décisions du jury.

UN CONTOURNEMENT DES LOIS FRANÇAISES ?

Dans l'affaire Vivendi, la compétence d'une juridiction américaine pose problème : le juge a en effet autorisé le jury à trancher un procès qui était essentiellement français.

Le for américain a offert aux actionnaires français un recours (qui leur était refusé par leur loi nationale). Le juge américain a conclu dans l'affaire Vivendi que la procédure de class action dans laquelle les membres potentiels du groupe doivent faire part de leur refus de participer (opt-out) n'était pas contraire aux principes fondamentaux du droit français, donc qu'un jugement américain pourrait être exécuté en France. Mais un autre juge a décidé le contraire dans l'affaire Alstom en concluant, après avoir examiné attentivement les décisions du Conseil constitutionnel, les propositions de la commission Attali et les autres débats en France concernant l'introduction des class actions, que les class actions "opt-out" seraient contraires aux principes fondamentaux du droit français. La cour d'appel fédérale de New York pourrait adopter la position du juge dans l'affaire Alstom qui procède d'une analyse très approfondie.

Ces incompréhensions culturelles ne sont pas de simples vestiges de l'histoire dans un monde voué à une totale rationalisation à la fois financière et juridique : elles constituent au contraire le cœur de la mondialisation. Il est plus facile de fondre des capitaux que de fusionner des cultures politiques. La mondialisation ne se réalise pas dans un univers exclusivement formel, celui des chiffres et de l'intérêt – comme la rêvent beaucoup –, elle confronte des imaginaires. Ces observations conduisent à constater les différences non seulement dans les représentations du procès mais, plus profondément encore, dans la répartition même de ce qui relève de l'économie, de la politique du droit ; même la raison y est soumise à des variations culturelles, et ce au sein d'une même aire occidentale et démocratique. Les équations mathématiques ne suffiront pas à raboter toutes les aspérités de la mondialisation qui doit aussi être pensée politiquement. La question que pose l'affaire Vivendi doit alors être reformulée ainsi : est-il normal qu'un jury de citoyens new-yorkais tranche un litige global comme celui de Vivendi qui excède de loin leurs compétences, en lui appliquant des standards culturels bien déterminés au nom d'une légitimité politique elle aussi "locale" ?

Loin de nous ériger en donneurs de leçons, nous avons seulement voulu souligner à quel point une élucidation des différences culturelles est une condition préalable et indispensable pour établir une bonne stratégie de défense. Pour mieux réguler la mondialisation aussi.

Antoine Garapon est magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur le justice, auteur de Juger en Amérique et en France en collaboration avec Ioannis Papadoupoulos (Odile Jacob). Daniel Schimmel est avocat, associé, Kelley Drye (New York).

 Source: Le Monde

vendredi 7 mai 2010

La vox populi s'en vient troubler les grandes AG Les assemblées générales ne sont plus toutes de simples chambres d'enregistrement. La crise a rendu les actionnaires plus vigilants.

Romain Zaleski veut en finir avec les Duval. Le 20 mai, lors de l'assemblée générale d'Eramet, l'homme d'affaires, détenteur de 12,87 % du capital, réclamera la révocation des quatre administrateurs membres de la famille Duval, l'actionnaire principal (36 %). Dans sa lettre au président, Monsieur Z n'y est pas allé de main morte : « Défaillances opérationnelles et stratégiques » ; « incompétence managériale des représentants de la famille Duval » ... En outre, il conteste, devant la justice, l'évaluation des apports de la famille Duval lors de la fusion avec Eramet en 1999. Ambiance explosive garantie.
Exit les assemblées générales (AG) aux allures de chambre d'enregistrement ? Cette année, rares sont les dirigeants à vivre des AG vraiment tranquilles. Certes, Martin Bouygues n'a été épinglé que sur les émissions racoleuses de TF1 et la médiocrité des cadeaux offerts aux actionnaires - quatre ans de suite le même cartable Bouygues ! Carlos Ghosn a été réélu à 84 % à la tête de Renault. Et Bernard Arnault (LVMH) a suscité de vagues murmures avec sa proposition de nommer Bernadette Chirac au conseil, votée elle aussi à une large majorité. Mais ailleurs, les actionnaires sont plus virulents. « Ils ont enfin compris qu'ils avaient un droit de regard, se félicite Colette Neuville, présidente de l'Adam. On est à la moitié du chemin, l'autre moitié étant d'avoir des moyens de contrôle. »
En attendant, les plus véhéments se lâchent. A Vivendi, maître Frédérik-Karel Canoy s'est attaqué au président du conseil de surveillance, Jean-René Fourtou, sur la condamnation de Vivendi, fin janvier, lors de la class action aux Etats-Unis. « Pourquoi n'avez-vous pas négocié, au lieu de passer votre temps à harceler les avocats des minoritaires ? Vous avez même fait pirater l'ordinateur de l'un d'entre eux par un ancien du GIGN ! » a accusé le président de l'Association syndicale des actionnaires. Tout aussi enflammés, des gérants de supérette du groupe Casino sont devenus actionnaires pour interpeller Jean-Charles Naouri sur leur infortune actuelle. Idem pour d'ex-salariés de Moulinex, dont Naouri a été actionnaire, et qui a déposé le bilan.

Explications forcées
« Ce sont les faits qui obligent les dirigeants à rendre des comptes, à préserver leurs fonds propres en respectant les actionnaires », dit Pierre-Henri Leroy, président du cabinet Proxinvest. Arnaud Lagardère en sait quelque chose : menacé par Guy Wyser-Pratte, il a dû s'expliquer sur sa stratégie - sans forcément convaincre. Si le business model de Franck Riboud (Danone) n'a pas été remis en cause, ses actionnaires lui ont demandé de « redescendre sur terre » côté salaire. Riposte, visiblement préparée à l'avance : l'annonce du remplacement des stock-options par des actions de « performance » liées aux résultats futurs.
Henri de Castries (Axa) s'est aussi expliqué sur ces actions. Curieusement, il n'y a pas eu de charge contre son projet de passer d'une structure bicéphale à un conseil d'administration, qui l'a consacré PDG. Frédéric Oudéa, lui, ne débattra même pas de la proposition du fonds PhiTrust de dissocier les rôles de président et de directeur général à la Société générale. Son conseil a botté en touche avant même l'AG du 25 mai. Ouverte quelques jours avant le procès de Jérôme Kerviel - accusé ultra-offensif dans les médias -, elle risque tout de même d'être agitée.

Thuy-Diep NGuyen
source: Challenges