Donc, Gordon Gekko, le sinistre héros à bretelles de «Wall Street», sort de prison. Dans « Wall Street 2 : l'argent ne dort jamais», le voici relâché avec ses petites économies, 9 millions de dollars, après vingt-deux ans de détention. A peine a-t-il touché le pavé qu'il constate - quelle surprise ! - que le monde de la finance est pourri. Que dis-je ? Moisi, avarié, décomposé. Mais les gros sous continuent à pleuvoir, et comment ! «La règle du jeu a changé. Les bénéfices se sont multipliés au carré. En 1987, lors du premier «Wall Street», on parlait en millions de dollars. Aujourd'hui, on ne mentionne que les milliards ! Quelle arrogance !», s'exclame Oliver Stone, ravi, une fois de plus, de provoquer la polémique. Il attaque, bille en tête, les «pigs» de la Bourse, incendie les princes des hedge funds, désosse le système. Gordon Gekko (Michael Douglas) a-t-il changé ? Son fils s'est suicidé, sa fille ne lui parle plus, notre homme a les cheveux blancs. Jacob Moore (Shia LaBeouf), un jeune trader amoureux de la fille de Gekko, est menacé par un squale de la finance (joué par Josh Brolin). Gekko, dont l'expérience est précieuse, s'offre à donner un coup de main : pourra-t-il se rapprocher de sa fille grâce à cette rédemption tardive ? Nouvelle plongée dans la cour des miracles du pognon. Un chèque peut sonner le glas d'une société, un ordre de Bourse peut exécuter des milliers d'épargnants. La carte de crédit est une arme de destruction massive.
«En 1982, j'étais immergé dans le milieu de la dope à Miami. Je fréquentais des dealers, des mafieux. J'en ai tiré le scénario de «Scarf ace». Quand je suis remonté à New York, c'était pire : les gens se faisaient de l'argent à une vitesse incroyable. Wall Street, c'était «Scarf ace chez les traders». » Oliver Stone sait de quoi il parle : depuis vingt-cinq ans, il dénonce les faux-semblants de la société américaine. Soit : la politique impérialiste, avec « Salvador » (1986) ; l'engagement au Vietnam avec «Platoon» (1986) ; le complot qui a mené à l'assassinat d'un président, avec «JFK» (1991); la crapulerie bonhomme de George W Bush, avec « W » (2008)... Même quand il tourne « Alexandre » (2004), saga d'un conquérant de l'Antiquité, il parle des Etats-Unis. Oliver Stone est un polémiste, doublé d'un teigneux. Il ne fait pas la guerre en dentelles, mais au lance-flammes. Quand il s'agit de Wall Street, le cinéaste a un compte à régler. Un compte particulier.
Son père, Louis Silverstein (le nom a été changé en 1927) était un fils de famille. En voyé à Harvard, habitué à la grande vie bourgeoise, il a découvert les réalités de la vie quand son propre père, Joshua Silverstein, lui a demandé : «Le chèque de 1 000 dollars que je t'ai envoyé cet été, tu l'as toujours ? Renvoie-le. » Entre-temps, en octobre, la Grande Crise avait eu lieu. Louis Stone renvoya les sous et, humilié devant ses pairs de l'Ivy League, se jura qu'il ne manquerait plus d'argent. Il devint financier. Responsable de la tirelire de l'armée américaine en 1944, membre du staff d'Eisenhower, il rencontra Jacqueline Goddet, une jolie Française, sur les ChampsElysées, l'épousa. Plus tard, Louis Stone, entre deux cotations, emmenait son fils voir des films. A 9 ans, celui-ci vit « Sur les quais ». Oliver Stone a dédié « Salvador » et « Wall Street » à son père, cet homme qu'il a adoré, cet homme si lointain, dévoré par la conquête de l'argent, mort un Martini à la main. Celui-ci a laissé un mot d'ordre à son fils : « Tous les jours, fais quelque chose que tu n'as pas envie de faire. » Le gamin a fait le contraire : il est parti au Mexique, a trafiqué de la dope, s'est retrouvé en prison, a écrit un gros livre, l'a jeté dans un fleuve, est parti au Vietnam, en est revenu carbonisé, puis, drogué, usé, halluciné, a dérivé à New York, alors que la ville célébrait le deuxième centenaire de l'Indépendance. Il a regardé les feux d'artifice, si semblables aux bombes au phosphore, puis est devenu cinéaste.
«J'ai soumis le scénario de «Wall Street 2» en 2006. Mais il n'y avait aucune urgence. Puis les choses se sont accélérées » Brusquement, tout le système était ébranlé : Bernard Madoff venait de perfectionner génialement une escroquerie banale, les « fonds pourris » contaminaient tout, les banques fermaient, la crise engloutissait des milliards. « Le capitalisme a eu sa crise cardiaque », pointe Oliver Stone. Mais l'argent ne dort jamais, c'est une chose qui n'a pas changé. Ce qui a changé, en revanche, c'est tout le reste : Michael Douglas ne porte plus les chemises rayées à col uni de « Wall Street ». Il n'a plus son gros téléphone portable Motorola DynaTAC 8000X, ni son Filof ax, ni son ordinateur IBM PS/2 fonctionnant au DOS 3.3. Désormais, il possède un BlackBerry Bold 9700 et un iPad Apple. Il ne fume plus de cigares, c'est mauvais pour la santé. « Wall Street 2 » est un film bio.
Mais Oliver Stone ne s'arrête pas là. Depuis quelques mois, il travaille sur une série documentaire d'une dizaine d'heures qui retrace l'histoire moderne des Etats-Unis sous un éclairage différent. Il a dit : « Hitler a été un bouc émissaire », ce qui a provoqué une levée de boucliers. Prié de s'expliquer, le cinéaste a précisé : «Hitler a été une créature américaine autant qu'allemande. Son ascension a été financée par des hommes d'affaires américains... » Dont un certain Joe Kennedy, père de JFK, et Henry Ford qui, pour chaque voiture modèle T (il en vendit 15 millions !), offrait à l'acquéreur un exemplaire des «Protocoles des sages de Sion». N'oublions pas Lindbergh, qui voyait en Hitler un allié indispensable. Inutile de dire que pareille leçon d'histoire n'est pas du goût de tout le monde. « Oliver Stone's Secret History of America » couvrira les années 1900-2010 et expliquera « comment nous sommes devenus un empire, comment nous sommes passés dans un régime militariste, et comment la paranoïa sécuritaire nous a engloutis ». Au rang des accusés : Kennedy, avec ses potes gangsters; Johnson, avec les crapuleries de la guerre du Vietnam ; Nixon, avec le mensonge érigé en système de gouvernement; les deux Bush, avec la désinformation de la guerre au Moyen-Orient... «L'hypocrisie est totale», dit Oliver Stone. Rendons-lui cette grâce : il n'a pas tort.
« Wall Street » a étrangement suscité des vocations : combien de jeunes diplômés sont devenus traders après avoir vu le film en 1987 ? De même, « Wall Street 2 » déclenche, aujourd'hui, une mode : le film-krach. La BBC vient de diffuser : « The Last Days of Lehman Brothers»; plusieurs adaptations de la biographie de Bernard Madoff sont en route ; et, cerise sur le gâteau, on chante et on danse dans « Enron », la comédie musicale de Broadway. Jérôme Kerviel, Noël Forgeard, Jean-Marie Messier, nouveaux héros de cinéma ? Pourquoi pas ? On vit une époque formidable.
« Wall Street : l'argent ne dort jamais », d'Oliver Stone. A Cannes, sélection officielle (hors compétition) le 15 mai. Sortie en salles en septembre.
François Forestier
« Draquila »
Moi aussi, j'ai voulu raconter l'Italie d'aujourd'hui. L'étrange, l'inquiétant autoritarisme qui règne dans ce pays», s'emporte Sabina Guzzanti en plein mixage de «Draquila », qui n'a pas digéré « les scènes de propagande qui ont accompagné le tremblement de terre des Abruzzes ». « Draquila », c'est d'abord la contraction de « Dracula » et de « l'Aquila », cette ville de l'Italie centrale détruite par le séisme d'avril 2009. Mais c'est surtout un portrait au vitriol de Silvio Berlusconi, qui a transformé en show télé l'après-tremblement de terre. Avec des scènes limites quand il offre un dentier à une vieille sinistrée ou apostrophe un groupe d'ouvriers du bâtiment ainsi : «Mais alors, vous êtes tous gays, je ne vois pas une seule fille ! La prochaine fois je vous en amène !» Au-delà des anecdotes, la réalisatrice de ce documentaire de 90 minutes veut dénoncer la gestion et l'exploitation médiatique de cette catastrophe. Silvio Berlusconi ou l'art de remonter dans les sondages sur fond de ruines...
« Draquila », de Sabrina Guzzanti, à Cannes, sélection officielle (hors compétition).
Marcelle Padovani
vendredi 28 mai 2010
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