jeudi 24 septembre 2009

Procès hors normes pour VIVENDI

les juges new-yorkais sous pression

Le 5 octobre doit enfin s'ouvrir à New York le procès de la « class action » lancée en 2002 par des actionnaires s'estimant floués par la gestion de l'ex-PDG Jean-Marie Messier.

JM Messier
Plus de sept ans après les faits, et après de multiples reports, doit s'ouvrir le 5 octobre, devant le tribunal du district sud de New York, un procès inédit à plus d'un titre. C'est la « class action » (action de groupe) engagée par des actionnaires de Vivendi s'estimant floués par la gestion de l'ex-PDG Jean-Marie Messier et de son directeur financier Guillaume Hannezo. Les deux anciens dirigeants sont d'ailleurs poursuivis aux côtés de la société. Cette affaire est l'une des dernières, encore non réglée, héritée de l'ère Messier.
La plainte, déposée en 2002, porte sur la communication financière de Vivendi de 2000 à 2002. À l'époque et jusqu'en 2006, le groupe était coté à Wall Street. Parmi les plaignants figure Liberty Media, la société de John Malone, qui, lors de la vente de 21 % de USA Networks à Vivendi fin 2001, avait été payée en partie en actions.
Le procès pourrait durer deux à trois mois. Les plaignants estiment le préjudice à plusieurs milliards de dollars. Et le droit américain permet d'infliger des dommages allant jusqu'à trois fois le préjudice. Si Vivendi est condamné à une amende, celle-ci sera répartie entre tous les actionnaires qui se manifesteront, y compris après le verdict, sauf ceux qui ont indiqué avant le 15 septembre ne pas vouloir participer à la procédure ? c'est le principe d'« opt out » des class actions américaines. Des annonces en ce sens sont parues début juillet dans la presse française, et un site Web a même été ouvert (Vivendiclassaction.com).
Toutefois, Vivendi peut, jusqu'à la fin du procès, mettre fin à la procédure en transigeant avec les plaignants ? en clair, en leur faisant un gros chèque. Des négociations en ce sens auraient déjà eu lieu, mais n'ont pas abouti, apparemment en raison de divergences sur le montant du chèque.
Vivendi a très peu communiqué sur ce sujet, et n'a rien provisionné dans ses comptes concernant ce litige. Mais elle a discrètement pris des mesures pour limiter les dégâts potentiels. D'abord, elle a souscrit une assurance pour se couvrir. Ensuite, elle a dépensé d'importants frais d'avocats ? rien que 75 millions de dollars entre 2005 et 2006.
Jusqu'à présent, le point sur lequel Vivendi s'est battu le plus vigoureusement concerne les actionnaires français. En effet, le juge Richard Holwell, qui jugera l'affaire, a estimé en 2007 que les actionnaires américains, anglais, néerlandais, mais aussi français, pourront être indemnisés via cette class action ? une première, selon Vivendi. Cette décision a rendu furieux le groupe dirigé par Jean-Bernard Levy, car le tribunal, pour calculer le préjudice, se basera notamment sur le nombre d'actionnaires concernés. Et le poids des actionnaires français est très important : 37 % à 67 % des actionnaires, selon les déclarations successives de Vivendi. Le groupe de médias a donc milité pour que les actionnaires français soient exclus de la procédure, afin de réduire le coût potentiel. Il a affirmé que, si les actionnaires français restaient dans la procédure, alors le coût de toute transaction devenait prohibitif, et que Vivendi sera alors « forcé de poursuivre la procédure jusqu'au bout ».
D'un point de vue juridique, il faut, pour inclure les actionnaire français, que le résultat de cette class action soit reconnu par un tribunal français. Un vif débat a donc eu lieu sur ce point devant le tribunal américain. Les plaignants français (représentés par Me Maxime Delespaul) ont versé au dossier les déclarations du président Chirac en faveur des class actions, puis les rapports Attali et Coulon. En face, Vivendi a répondu que les actionnaires avaient, en droit français, plusieurs possibilités d'agir individuellement, citant notamment l'action intentée devant le tribunal de grande instance de Paris par Me Frederik-Karel Canoy, et qui pourrait aboutir en 2010. Le groupe français a aussi versé aux débats moult expertises assurant que les class actions à l'américaine ? en particulier leur système d'« opt out » ? seraient contraires à la Constitution. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne, deux directeurs successifs des affaires civiles au ministère de la Justice (Marc Guillaume et Pascale Fombeur), et même l'ancien ministre de la Justice Pascal Clément ont tous témoigné en ce sens à la demande de Vivendi. À noter toutefois que Pascal Clément est aujourd'hui employé par le cabinet d'avocats Orrick, qui travaille pour Vivendi dans le dossier polonais Elektrim. Vivendi a aussi souligné que les actionnaires français ont été exclus en 2008 d'une class action contre Alstom pour cette raison. Le Medef a aussi témoigné en faveur de Vivendi, assurant sa « ferme hostilité » vis-à-vis des actions de groupe, mais le juge Holwell a jugé ce témoignage « peu surprenant »? Sur le fond, le juge, après lecture attentive des décisions de la haute juridiction française, a conclu que celle-ci n'avait jamais clairement rejeté le principe de l'« opt out ». Ensuite, Vivendi a contesté cette décision en appel, puis en cassation devant la Cour suprême, puis à nouveau devant le juge Holwell ? à chaque fois en vain. Vivendi vient donc de faire appel pour la seconde fois.
« un très bon dossier »
Sur le fond, les plaignants soulèvent 6 griefs (voir encadré). Tous ces griefs ont été jugés recevables en 2003, le tribunal les estimant suffisamment étayés et crédibles. Le tribunal a seulement estimé que Guillaume Hannezo n'était pas responsable des déclarations de son patron, et qu'il n'avait tiré aucun enrichissement personnel des faits. En revanche, il a estimé que J2M a pu tirer un bénéfice personnel de la hausse du cours de Bourse et de la rentabilité, sur laquelle son bonus était indexé. Il a rejeté les arguments de J2M, qui plaidait ne pas avoir eu le « contrôle effectif » du groupe. Il a aussi rejeté les autres arguments de Guillaume Hannezo, qui affirmait ne pas avoir fait partie de ceux qui « contrôlaient » le groupe, et n'être pas responsable des communiqués de la société. Il a aussi éconduit Vivendi quand ce dernier a plaidé que les propos de Jean-Marie Messier cités par la presse ou des analystes avaient été mal rapportés?
Officiellement, Vivendi estime « avoir un très bon dossier », comme le déclarait son président du directoire Jean-Bernard Levy en 2007. « La SEC aux États-Unis et en France l'AMF, la cour d'appel de Paris, et la Cour de cassation, après avoir mené pendant des années une procédure attentive et examiné en détail tous nos documents, ont validé tous nos comptes et tous nos rapports annuels », rappelait-il. Sous entendu : s'il y avait eu des fautes graves, les gendarmes de la Bourse auraient fini par les trouver. Une position qui est aussi en substance celle de Jean-Marie Messier.
À noter, les 6 griefs soulevés dans la class action ne recoupent quasiment pas ceux relevés par l'AMF et la SEC. Il n'y a que deux recoupements avec l'enquête de l'AMF : la consolidation de Cegetel et Maroc Telecom (où l'AMF a blanchi J2M), et l'accès à la trésorerie de Cegetel (où l'AMF a jugé l'information fournie insuffisante, mais a été désavouée en appel).
Interrogé, Vivendi souligne que « le seul véritable bénéficiaire d'une class action n'est pas l'actionnaire, mais les avocats spécialisés dans les class actions, qui touchent un pourcentage relativement important des dommages, et pour qui c'est une activité très lucrative. D'ailleurs, un des cabinets qui poursuivent Vivendi est lui-même poursuivi dans une autre affaire pour subornation de témoin ». Allusion au cabinet Milberg qui a été accusé d'avoir payé des clients uniquement pour qu'ils lancent des class actions. Deux associés ont admis les faits, et plaidé coupable. n
L'ex-ministre de la Justice Pascal Clément et le constitutionnaliste Guy Carcassonne ont témoigné en faveur de Vivendi.
Un préjudice estimé à plusieurs milliards de dollars.
Un procès de deux à trois mois.
Des centaines de millions d'euros de frais d'avocats.
Des actionnaires français autorisés pour la première fois à se joindre à la procédure.


en savoir plus: http://www.latribune.fr/journal/edition-du-2209/enquete/274007/les-juges-new-yorkais-sous-pression.html


par Jamal Henni

Maître Frederik-Karel Canoy est l'avocat de l'Appac (Association des petits porteurs actifs), à l'origine de l'enquête sur les dirigeants de Vivendi Universal (VU). Il revient sur la mise en examen de Jean-Marie Messier et pointe d'autres responsabilités dans cette affaire tentaculaire. Interview.

tf1.fr : Que pensez-vous de la mise en examen de Jean-Marie Messier ?
Maître Canoy : C'est un bon début. Ce qui était vraisemblable est maintenant devenu réalité. Contrairement à ce que certains veulent faire croire, une mise en examen n'est pas une simple mesure technique. Durant deux ans, le juge a pris soin de vérifier un à un les faits qui lui ont été transmis. C'est maintenant chose faite. C'est une victoire pour notre association.
tf1.fr : Contrairement à certains de ses collaborateurs déjà mis en examen, une caution de 1.300 000 euros a été réclamée à l'ancien patron de VU…
On va enfin connaître la vérité sur sa fortune personnelle. Monsieur Messier est inspecteur des finances, il sait donc compter. Le 15 octobre 2003, devant les députés [la mission d'information sur la réforme du droit des sociétés, NDLR], il a assuré qu'il était ruiné. C'est le terme qu'il a utilisé à l'époque. Quand vous êtes ruiné, comment pouvez-vous payer un million de dollars d'amende aux Etats-Unis et une caution d' 1,3 millions d'euros en France ? De deux choses l'une : soit il s'est fichu du monde, soit il a dit vrai. Dans ce cas, il devrait être incapable de payer sa caution. 
Si d'aventure il trouve l'argent, il faudra bien sûr que les juges s'interrogent sur l'origine des fonds. Monsieur Messier a-t-il conservé de l'argent à gauche et à droite ? Nous en sommes convaincus. D'ailleurs, il fait actuellement l'objet d'une enquête de l'administration fiscale au sujet des plus-values réalisées lors de la vente de stock-options, plus-values qui apparemment n'ont pas été déclarées en France. L'ont-elles été aux Etats-Unis ? Mystère.
tf1.fr : Entre le 17 septembre et le 2 octobre 2001, Jean-Marie Messier a fait racheter 21 millions de titres de VU, une opération interdite par la réglementation boursière. Mais le patron de VU assure qu'après les attentats du 11 septembre, la SEC (le gendarme de la bourse aux Etats-Unis) a autorisé la dérégulation du marché. Il affirme avoir agi "dans l'intérêt des petits actionnaires".
Grande nouvelle, il est donc de notre côté ! Plus sérieusement, certes, il y a eu les événements du 11 septembre, mais y-a-t-il d'autres sociétés qui ont eu recours à de telles pratiques durant cette période ? Pour le moment, aucune ne l'a signalé. D'autres sociétés ont-elles bénéficié de la même mansuétude de la part de la COB ? [la Commission des opérations de bourse, NDLR]. Le 11 septembre n'est qu'un alibi : Messier savait pertinemment que sa société n'allait pas réaliser les résultats escomptés. Son équipe a falsifié les comptes. Elle a réalisé cette manipulation de cours pour tenter de parvenir à ses fins. Et Messier nous fait ensuite le coup de l'intérêt de l'entreprise ! Je crois surtout que c'était pour ses propres intérêts. Sinon, on n'en serait pas là.
La COB a également sa part de responsabilité. Il faut qu'elle assume ses actes. Au lieu de dilligenter une enquête sur cette manipulation de cours, elle a fermé les yeux si bien qu'il a fallu attendre le recours d'une association de petits porteurs pour que l'enquête commence. C'est scandaleux.
tf1.fr : Cinq personnes ont déjà été mises en examen dans cette affaire. Qu'attendez-vous de la suite de l'enquête ?
Les différentes banques qui ont soutenu VU sous l'ère Messier se sont immiscées dans la gestion de la société. Le résultat est catastrophique. L'Appac estime à 50 milliards d'euros le préjudice subi par les petits porteurs. J'attends donc que les banquiers viennent discuter avec l'association et indemnisent forfaitairement le million de petits porteurs que nous représentons.
Le conseil d'administration de Vivendi de l'époque devra également s'expliquer sur la fasification des deux procès-verbaux issus de la réunion du 3 juillet 2002 entérinant le départ de M. Messier. Lors d'une audience au tribunal de commerce, ils ont tous affirmé que ces PV ne correspondaient pas à la réalité. Ils étaient donc tous au courant et ils n'ont rien dit.

L’Affaire Canoy, dernier thriller produit par Vivendi Universal

En coulisse du procès Vivendi qui finira bien par s’ouvrir un jour, se livre une bataille sans merci entre l’avocat qui titille l’establishment de la haute finance, et les relais serviles que cette dernière mobilise.

Sur le papier, le combat paraît inégal : d’un côté Maître Frederik-Karel Canoy, avocat solitaire, une espèce de mauvais clone de Colombo qui s’est mis avec un certain succès, au service des petits actionnaires floués et qui commence à susciter l’intérêt d’investisseurs institutionnels français et étrangers.

De l’autre, les cabinets présumés prestigieux et pléthoriques des beaux quartiers, souvent plus prompts à dégainer des notes d’honoraires en platine que des systèmes de défense en béton et auxquels fait souvent appel la haute finance dévoyée pour la tirer du pétrin.

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Après avoir obtenu une belle victoire dans l’affaire Sidel le 31 octobre 2008, Maître Canoy s’est mis en tête de faire rendre gorge à Vivendi Universal. Dès Juillet 2002, il déposait une plainte pénale pour délits d’initiés, divulgation de fausses informations, faux bilans, etc… à l’encontre de Vivendi et ses dirigeants pour le compte de l’Association des Petits Porteurs Actifs, présidée par un certain Cornardeau. Il passera la deuxième couche en 2005 en complétant son action par une plainte au civil. Entre temps, la situation a beaucoup évolué au plan tactique : non seulement Canoy n’est plus l’avocat de l’APPAC mais cette dernière n’a rien trouvé de mieux à faire que de se constituer partie civile dans le cadre d’une plainte contre X déposée en Juillet 2005 par Vivendi pour publicité mensongère et diffusion de fausses informations. Le « X » en question n’est autre que Frédérik Canoy à qui il est fait reproche de prospecter la clientèle et de faire de la publicité, des manip’ prohibées par l’ordre des Avocats. Le non-lieu rendu à son profit le 17/12/2008 sur la plainte de Vivendi, semble lui donner raison.

Colombo Canoy contre le reste du monde

Ce qu’on lui reproche surtout c’est d’encourager les caves à se rebiffer en grand nombre, et à lancer des actions judiciaires collectives de type « Class Action » à la française qui semblent susciter un intérêt croissant de la part des magistrats. L’homme de droit s’en défend ; sa victoire en faveur de plusieurs actionnaires de Sidel (l’arrêt du 31 octobre précise : « qu’il ne s’agit pas, contrairement à ce que soutient la société Sidel, d’une action collective, mais la demande individuelle de chaque partie civile tendant à la réparation de son préjudice personnel… »)

Pour autant, le garçon n’est pas au bout de ses peines. Les actionnaires de Vivendi qui lui ont confié la défense de leurs intérêts et dont il a tout naturellement communiqué la liste à ses confrères dans le cadre de ses conclusions, se voient depuis peu, bombardés de tracts courageusement anonymes émis par un mystérieux « Collectif » . Le « corbeau » n’y va pas avec le dos de la cuillère : Il somme les clients de Maître Canoy de se désister de leur action à l’encontre de Vivendi, de lui demander la restitution des sommes qu’ils lui ont versées et d’engager la responsabilité de leur avocat devant le barreau du Val-de-Marne dont il communique aimablement l’adresse, « seul moyen pour eux d’éviter de payer les conséquences des agissements de Maître Canoy ». Foutre les chocottes aux justiciables pour les amener à se désister de leurs demandes : le procédé quoiqu’un brin mafieux, a l’avantage de la simplicité. Les scénaristes des studios Universal y ont fréquemment recours. Le problème pour le « Colombo du petit porteur » c’est qu’il ne parvient pas à identifier l’origine de la manœuvre, même si elle semble développée dans l’intérêt manifeste de Vivendi et de ses avocats qui sont les seuls à connaître l’identité et le nombre des plaignants.

La cave se rebiffe

Compte tenu des soupçons qu’il nourrit aussi à l’encontre de l’APPAC, il a demandé la dissolution de l’association avec l’appui de 80 de ses anciens adhérents. Un certain nombre d’entre eux ont à leur tour déposé une plainte contre le dénommé Cornardeau pour escroquerie, abus de confiance, faux et usage et exercice illégal de la profession d’avocat. En bonus, l’avocat des plaignants a demandé communication des relevés de compte bancaire de l’association, histoire de savoir si leur président se tape de bonne gargote avec leur fric, ou si l’association ne bénéficierait pas de discrètes contributions versées par les sociétés qu’elle est supposée combattre. « Me Canoy attaque tout le monde. c’est son droit mais ça devient lassant, pointe M. Cornardeau. D’autant que chaque fois que nous nous sommes rendus devant la justice, nous avons été relaxé. Nous laissons venir ces affaires tranquillement. La seule qui importe pour nous reste la procédure Vivendi. » Une chose en tout cas est certaine : plus l’on s’approche de l’ouverture du procès Vivendi et plus la pression sur les clients de Maître Canoy devient féroce. Affaire à suivre…

CABINET Fréderick Karel CANOY