L’audience du 19 novembre 2013 est consacrée aux plaidoiries des parties civiles victimes des dérives de Vivendi et ses ex-dirigeants, rejugés devant la 5ème chambre de la Cour d’appel de Paris. Deontofi.com publie les quatre principales plaidoiries. Maître Frédérik-Karel Canoy, premier avocat à avoir porté plainte contre Vivendi il y a plus de dix ans, ouvre cette série. (Tout le feuilleton ici)
Troisième partie de la plaidoirie de Maître Frédérik-Karel Canoy (3 sur 3) :
Troisième partie de la plaidoirie de Maître Frédérik-Karel Canoy (3 sur 3) :
Jean-Philippe Pouget, Frédérik-Karel Canoy et Philippe Valent, trois avocats défendant les épargnants au procès Vivendi. (photo © GPouzin)
Pour la constitution de partie civile , sur la recevabilité des actionnaires, l’article 2 du Code de Procédure Pénale dispose : L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. Cela exige deux choses : la démonstration d’un préjudice certain, né d’une infraction punissable et que ce préjudice soit identifié et direct. Les actionnaires sont fondés à réclamer indemnisation en raison du lien de causalité entre leur préjudice et les infractions de Jean-Marie Messier, Guillaume Hannezo et Edgar Bronfman.
Maître Frédérik-Karel Canoy, le premier avocat qui a porté plainte contre Vivendi et son ex-PDG. (photo © GPouzin)
Frédérik-Karel Canoy brosse ensuite des portraits rapides de quelques actionnaires parmi ces parties civiles dont il défend les intérêts, pour faire partager leur réalité bien éloignée des intrigues entre grands patrons. Il y a cet agriculteur de Seine et Marne qui avait hérité de 2 millions d’euros en actions de la Générale des eaux, ayant perdu 90%.
Si on lui avait dit pour les dettes et la vraie situation du groupe, il aurait été ailleurs. Le plus fort dans la communication, c’était de dire « ça baisse mais ne vous inquiétez pas ça va remonter ». Il cite encore un courrier d’actionnaire du 9 avril 2011 commentant sa perte avec Vivendi : « Cela m’a provoqué un souci permanent, en plus de la perte financière, avec un blocage du capital pour d’autres investissements ou changer de véhicule, ma voiture a 19 ans. » Pourquoi 13 ans ? interroge l’avocat. Il y a eu dès le départ trois juges d’instruction, deux ont disparu, il n’en restait plus qu’un pour instruire le dossier. Treize ans, est-ce acceptable comme réponse judiciaire ? Quand on compare à un autre dossier que vous avez traité en quatre ans (NDLR l’affaire Kerviel, révélée sept ans après l’affaire Messier, a été jugée en même temps en première instance et en juin 2012 en appel, par la présidente Filippini), on peut se demander si vous avez droit à des égards quand vous faites partie de l’establishment.
Il cite encore un actionnaire qui avait placé 23 000 euros en actions Vivendi « pour contribuer au remplacement de ses revenus professionnels suite à ma fin d’activité ». C’est ce qui nous attend tous, la retraite. On est obligé de placer ses économies en actions pour avoir des revenus,la réalité est là. Sur un million d’actionnaires de Vivendi il y avait 6 à 8 000 institutionnels, les autres sont des particuliers. Il cite un autre témoignage d’actionnaire individuel : « En 2000 je disposais de quelques économies et conseillé par ma banque je les ai placées en actions Vivendi. Je me suis senti floué de mes économies car toute sa stratégie était basée sur le mensonge ».
Un autre petit porteur écrit « mon investissement en actions Vivendi me permettait d’acheter une maison, aujourd’hui au mieux un petit studio, voire une chambre de bonne ». Et un autre « mes économies avaient pour but de compléter ma retraite et cette de mon épouse ». C’est la famille toute entière qui subit un préjudice d’environ 40 000 euros, résume leur avocat.
Maître Frédérik-Karel Canoy, l’avocat qui a déposé la première plainte contre Vivendi et ses dirigeants. Dessin ©Yanhoc
Je me mets à votre place, lance-t-il à la Cour. Il y a l’influence de la fausse information sur la période réduite dont vous êtes saisis mais il y a un environnement qui permet de mieux comprendre les choses. « Nous avons été trompés, bafoués par le manque de moralité d’un patron en qui nous avions confiance », écrite encore un actionnaire partie civile. La tromperie n’est pas un aléa. La confiance est perdue. L’idée de s’appuyer sur les petits porteurs pour financer les sociétés sans les banques en les grugeant est inadmissible. Qu’on arrête de mépriser les petits actionnaires.
L’avocate générale retient maintenant son fou-rire, et la présidente a du mal à garder sa gravité en écoutant cette plaidoirie qui remet les pendules à l’heure : la lecture directe de Maître Canoy tranche avec les détours sinueux et ennuyeux auxquels se livrent certains virtuoses de la procédure pour éviter à leurs clients un contact trop rude avec leurs réalités honteuses.
L’avocate générale, la présidente Mireille Filippini, et un conseiller de la Cour d’appel de Paris qui rejuge les ex-dirigeants de Vivendi. Dessin ©Yanhoc
On nous a trompé sur la valeur de l’action alors que les dirigeants se livraient à une communication trompeuse depuis 19 mois, enchaîne Frédérik-Karel Canoy. C’est pourquoi nous demandons la condamnation solidaire de Vivendi Universal sur la base de l’article 203 du Code de procédure pénal, en démontrant simultanément la connexité des infractions. Je me base sans originalité sur la logique appliquée à partir de la décision de la Commission des sanctions de l’AMF confirmée par la Cour d’appel de Paris en 2005 et par la Cassation suivie de l’arrêt de 2009 qui condamne tant Vivendi Universal que Jean-Marie Messier pour manquements et fautes. Ils ont bien été condamnés, et également par la SEC. Je ne vois pas pourquoi l’article 1384 du Code civil alinéa 5 a été appliqué dans l’affaire Sidel et ne le serait pas dans Vivendi.
Maître Frédérik-Karel Canoy dialogue avec Jean-Marie Messier, au cours du procès en appel de l’ex-PDG de Vivendi. Dessin ©Yanhoc
Dans cette affaire, les dindons de la farce sont les petits porteurs. Il y a des articles évoquant le train de vie de Mr Fourtou et de Jean-Marie Messier, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Madame Colette Neuville, à l’origine une femme courageuse qui a essayé dans différentes affaires de défendre les petits actionnaires, a été poursuivie par Vivendi qui n’a pas hésité à lui réclamer 1 million d’euros pour avoir osé se porter partie civile aux Etats-Unis. Vivendi a été condamné lourdement pour avoir diligenté cette procédure par un jugement du 17 mai 2005. Compte tenu de la multiplicité du management face à l’examen des faits et de leur gravité, alors qu’ils ont été commis sur une période de 19 mois, il faut arrêter de raconter des histoires, il s’agit d’une communication trompeuse. On a eu l’audience du 6 novembre 2013 à propos de laquelle une personne m’a adressé un courrier où il y a tout. Il en lit des extraits avant de conclure sa plaidoirie : Je vous demande de déclarer les parties civiles recevables et de dire en vertu de l’article 1384 du Code civil que Vivendi est civilement responsable des agissements de messieurs Messier et Hannezo, de condamner solidairement Vivendi en sa qualité de commettant à régler 160 € par action au titre du préjudice financier et 10 € au titre du préjudice moral. En application de l’article 475-1 du Code de procédure pénal nous réclamons également 20 000 euros de dédommagement pour chaque victime, compte
tenu des obstacles qu’ils ont dû subir dans cette procédure.
Frédérik-Karel Canoy, premier avocat des actionnaires de Vivendi, et son confrère Pascal Lavisse, avocat de l’Association des petits porteurs actifs (Appac). Dessin ©Yanhoc
depuis douze ans.
- Bien. Au suivant, annonce sobrement la présidente en
guise de transition avec la seconde plaidoirie des parties civiles.
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