A l'époque, M. Messier avait entrepris de transformer l'ancienne Compagnie générale des eaux (ordures ménagères, eau potable...), dont il avait pris les rênes en 1996, en un géant de la communication. Une mue radicale qui s'était faite à coups d'acquisitions spectaculaires dans les médias, la culture ou les télécommunications, comme le rachat du canadien Seagram (propriétaire notamment des studios Universal).
Ce procès, qui va durer jusqu'au 25 juin, provoque cependant une curieuse impression de déjà-vu. Car un procès identique, intenté par d'autres petits porteurs de différentes nationalités, a eu lieu entre le 5 octobre 2009 et le 29 janvier 2010 aux Etats Unis, aboutissement d'une action en nom collectif (class action) introduite en juillet 2002 devant le tribunal fédéral du second district de New York. MM. Messier et Hannezo ont alors dû répondre à des accusations multiples qui se résumaient à une seule : le groupe Vivendi avait-il subi une crise de liquidités qui le mettait en faillite fin 2001 et, surtout, ses dirigeants, avaient-ils dissimulé la chose aux marchés ?
Le "remake" qui s'ouvre à Paris est toutefois riche de quelques spécificités. Comme à New York, MM. Messier et Hannezo sont au centre de l'accusation. Comme à New York, ils sont soupçonnés d'avoir menti sur les comptes et trompé leurs actionnaires.
Mais la procédure qui les vise à Paris n'est pas civile, elle est pénale : en plus des dommages et intérêts, les juges peuvent donc prononcer des peines de prison et des amendes. M. Messier risque ainsi en théorie jusqu'à cinq années de prison et 375 000 euros d'amende.
Autre particularité, le groupe Vivendi est absent du box des personnes mises en examen. Il sera même partie civile contre ses anciens dirigeants et certains de ses salariés actuels. Me Frederik-Karel Canoy, qui défend une centaine de petits porteurs, affirme qu'il fera tout pour faire basculer Vivendi de "partie civile en civilement responsable" comme il l'a déjà obtenu d'un autre tribunal sur une autre affaire, affirme-t-il.
Des acteurs nouveaux font aussi leur apparition sur l'échiquier judiciaire français. M. Bronfman Jr et M. Licoys sont respectivement accusés de délit d'initié et d'abus de biens sociaux. M. Bronfman Jr aurait bénéficié d'informations confidentielles qui lui auraient permis de se délester avec profit de stock-options lui rapportant près de 13 millions de dollars (10,6 millions d'euros). Son avocat Me Georges Kiejman regrette que son client soit passé du statut de témoin assisté à celui de mis en examen. Il plaidera que l'accusation repose sur une confusion entre des événements multiples.
Contrairement aux Etats-Unis, les débats qui vont avoir lieu en France ne seront pas arbitrés par un jury populaire mais par des magistrats professionnels - en principe, plus experts et moins émotionnels.
Le 28 janvier, après trois longues semaines de délibération, les jurés américains ont choisi, à la surprise générale, de condamner le groupe Vivendi à verser des dommages et intérêts - dont la somme est encore à déterminer et pour lesquels le groupe a déjà provisionné 550 millions d'euros -, tout en exonérant MM. Messier et Hannezo de leur responsabilité. Bien préparé, usant de son charme, l'ancien PDG de Vivendi avait réussi à convaincre des jurés peu au fait des réalités financières qu'il était peut-être responsable, mais pas coupable.
Mais la vraie différence entre ces deux procès, c'est qu'en France la justice a failli ne pas être rendue. Le 23 janvier 2009, le parquet de Paris estimait, après sept années d'instruction, que le dossier était vide et requérait un non-lieu. Aussitôt, les avocats de MM. Messier et Hannezo exultaient tandis que du côté de l'accusation, certains dénonçaient un geste politique : l'ex-PDG de Vivendi a en effet collaboré, dans les années 1980, avec Edouard Balladur, dont il a été conseiller chargé des privatisations au ministère de l'économie.
Les magistrats instructeurs, souverains en matière de suivi judiciaire, allaient-ils se plier aux désirs du parquet ? La réponse du juge Jean-Marie d'Huy est venue neuf mois plus tard sous forme d'une ordonnance de 233 pages, renvoyant sept personnes devant le tribunal correctionnel de Paris. C'est ce procès qui commence désormais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez vos impressions