EAN-MARIE Messier a revécu "son" 11-Septembre. L'ancien P-DG de Vivendi Universal a en effet commencé à s'expliquer devant le tribunal correctionnel de Paris, jeudi 10 juin, sur les rachats massifs de ses propres actions effectués par le groupe dans les jours qui ont suivi les attentats terroristes de 2001. Une opération qui le conduit à être accusé de "manipulation de cours", de même que trois autres prévenus, l'ancien trésorier Hubert Dupont-Lhotelain, son adjoint François Blondet et le banquier qui a effectué les rachats d'actions à la Deutsche Bank, Philippe Guez. L'ex-directeur financier Guillaume Hannezo est lui renvoyé pour complicité.
"Une décision qui ne s'apprend pas à l'école"
Les faits incriminés portent sur le rachat sur le marché par Vivendi, entre le 17 septembre et le 2 octobre 2001, de ses propres titres pour 1 milliard d'euros. Une opération permise par la réglementation boursière, mais dans le respect de trois "présomptions de légitimité" que le groupe est accusé d'avoir allègrement violées: les rachats ne peuvent normalement représenter plus de 25% des échanges de titres ni intervenir aufixing (ouverture et clôture des séances) ou dans les jours précédant les résultats trimestriels. A l'époque, Vivendi avait néanmoins obtenu un blanc-seing de la Commission des opérations de Bourse (COB, ancêtre de l'AMF), via un courrier envoyé le 26 octobre 2001 par son président, Michel Prada.Un feu vert a posteriori que Jean-Marie Messier, qui s'était installé en famille à New York début septembre 2001, a justifié en faisant vibrer la corde personnelle, soulignant "la peur de ce qui risquait de se passer le lendemain, la recherche des employés du groupe disparus... [...] C'est le genre de décisions qui ne s'apprend pas à l'école". Philippe Guez, qui s'est exprimé en fin de journée, a lui aussi évoqué ses souvenirs du 11-Septembre : "Les bureaux de Deutsche Bank à New York sont mitoyens des deux tours, et l'ensemble de la direction européenne était à New York ce jour-là: vous imaginez l'émotion. Quand l'avion a frappé la seconde tour, nous avons vu la liquidité s'assécher, les spéculateurs intervenir".
"Pas une opération frauduleuse"
Ces spéculateurs, Jean-Marie Messier les a attaqués avec virulence, en faisant la cible des rachats d'actions: "Ne rien faire, c'était livrer la société à la spéculation. [...] Les hedge funds se foutent du cours de Bourse, ils veulent se faire de l'argent sur le dos des actionnaires". Soutenu par le témoignage de Guillaume Hannezo, il a ensuite déroulé des justifications déjà rodées à l'instruction. Il a notamment rappelé que Vivendi était coté à New York et Paris et que la SEC, l'homologue américaine de la COB, avait suspendu ses règles sur les rachats de titres après les attentats, là où la COB les avait seulement assouplies. Il a également reconnu que le groupe n'avait publié que la moitié de ses résultats (la partie communication) au moment des faits, mais que l'autre, la partie environnement, rendue publique le 25 septembre, était d'une "prévisibilité totale". Enfin, il a combattu en longueur l'accusation "factuellement erronée" de la brigade financière selon laquelle il aurait donné instruction de maintenir le cours de l'action à 50 euros le 25 septembre, pendant la présentation des résultats.Dans ce combat, il a reçu le soutien de Philippe Guez de la Deutsche Bank, plutôt inattendu au vu de propos de l'époque tenus en interne, cités dans l'ordonnance de renvoi: "Moi je veux pas aller en prison. [...] Ils font n'importe quoi. [...] Ils font des choses qui sont totalement illégales". "Affligé" de sa présence sur le banc des prévenus mais très à l'aise, le banquier a justifié ses propos par une volonté de "dramatiser" la situation: "Il faut être violent dans l'expression des sanctions pour avoir le respect de la réglementation dans une salle de marché". Il a critiqué l'idée de Vivendi de racheter ses actions avant ses résultats puis d'organiser leur présentation en plein milieu d'une séance de Bourse à Paris, mais a dédouané le groupe sur le plan pénal: "Il n'y a pas d'opération frauduleuse. Un émetteur a le droit de défendre son cours de Bourse, c'est le fonctionnement du marché".
"Il se fout de nous !"
Face à ces prévenus droits dans leurs bottes et des parties civiles qui se sont souvent dispersées sur des questions ne portant pas sur l'objet de l'audience, le président Miniconi a tenté d'introduire le doute en soulignant les divergences entre Vivendi et la COB: "Vous donnez l'impression d'un consensus avec l'autorité de marché, mais elle est tout de même critique". Lisant un courrier de remerciement envoyé par Jean-Marie Messier à Michel Prada, il a pointé le "Il se fout de nous!" annoté dans la marge et ironisé sur la formule de politesse "Monsieur le président et cher Michel" -les deux hommes avaient un passé commun au cabinet d'Edouard Balladur à Bercy.Une brèche dans laquelle Me Canoy, qui défend des petits porteurs, a tenté de se faufiler, pointant les "goûts musicaux communs" revendiqués par Messier avec Prada: "Avec vous fait partie de l'association de l'Orchestre de Paris ?". "Oui, longtemps', répond Messier. "Je trouve déplacé de laisser planer le moindre doute sur Michel Prada", ajoute-t-il, avant que Me Canoy n'évoque la "rumeur" d'un cheval offert à Gérard Rameix, le directeur général de la COB. Là, comme au moment de son attaque sur les hedge funds, Jean-Marie Messier a choisi de changer brièvement de registre, sans élever la voix: "Qu'est-ce que c'est que cette connerie ?".
par Jean-Marie Pottier, journaliste à Challenges.fr, le jeudi 10 juin.
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