lundi 7 juin 2010

Jean-Marie Messier s'explique sur son étrange parachute doré Reportage Challenges.fr Jeudi, l'ex-patron de Vivendi Universal est revenu devant le tribunal sur les conditions de son départ du groupe, en juillet 2002.


LE premier jour du procès Messier aurait pu être qualifié de journée des mondanités. Des parties civiles peu virulentes, pas de témoins ni d'accusation, le parquet ayant requis un non-lieu général dans le dossier et ayant laissé sous-entendre que sa position ne changerait pas.

L'attaque n'était pas plus de mise lors de la deuxième journée, jeudi 3 juin, excepté du côté du trublion Me Frédérik-Karel Canoy, conseil d'une centaine de petits actionnaires qui, en début d'audience, a interpellé les membres du tribunal pour savoir s'ils détenaient quelque action Vivendi ou encore pour connaître l'état de leur éventuelle adhésion à Canal+ ou à SFR, les filiales du groupe... "Je n'ai plus d'action Vivendi et je suis affilié à SFR", a répondu le président du tribunal, face à une audience pour le moins interdite et amusée (ou déconcertée) par cette intervention. Quant au procureur, Chantal de Leyris, elle n'a "pas d'action Vivendi, une vieille télé qui reçoit trois chaînes et est abonnée à Bouygues Telecom".
Après vingt minutes de "Canoy show" et un recadrage du président Miniconi, les choses sérieuses pouvaient commencer. Ce jeudi, il était question d'un parachute doré qui vaut à Jean-Marie Messier des poursuites pour abus de biens sociaux. Plus précisemment, d'une indemnité de départ de 18,6 millions d'euros -à laquelle il faut ajouter 1,95 million d'euros de bonus non perçus- qu'il s'était fait octroyer sans l'accord du conseil d'administration. Le juge d'instruction, Jean-Marie d'Huy, a alors fondé son renvoi en correctionnelle sur le fait que Vivendi avait dû provisionner une somme équivalente. Même si, au final, il n'a "pas touché un euro", et n'a perçu aucun des avantages supplémentaires qu'il demandait (remboursement des travaux engagés dans son appartement new yorkais, le paiement de son personnel de sécurité pendant neuf mois, un chauffeur/garde du corps pour son épouse pour la même durée, etc). Excessif tout ça? Pas le moins du monde pour J2M qui rappelle que la solvabilité du groupe n'a jamais fait défaut.
Dans un long entretien qui se déroule principalement avec le président du tribunal, J2M retrace la chronologie de cette période dont il dit se souvenir "à peu près minute par minute". L'ancien dirigeant promet avoir "agi de bonne foi et dans l'intérêt de Vivendi Universal". Déjà, il indique avoir demandé à ce que soit retirée de son contrat de travail américain (signé après la fusion avec Seagram) toute condition à son départ. A l'époque, il écrit d'ailleurs dans son ouvrage J6M.com. Faut-il avoir peur de la nouvelle économie ? (Hachette Littératures, 2000): "Mon contrat ne prévoit aucune clause de ce genre [un parachute doré, ndlr]. Et je m'engage, vis-à-vis de mon conseil d'administration, à ne jamais rien négocier".

Mais les temps changent, et les circonstances aussi. A la barre du tribunal correctionnel, Messier explique comment deux administrateurs français du groupe, Henri Lachmann et Jacques Friedmann, lui ont, le vendredi 28 juin 2002, demander de démissionner pour résoudre la crise de confiance que traverse la société, lui assurant qu'ils "veilleraient à ce qu'[il] soit traité honorablement". Et ce, trois jours après qu'il ait été conforté (de justesse) dans son rôle de président par le conseil d'administration. "Ne revenant pas de cette nouvelle", Jean-Marie Messier prend néanmoins la décision de quitter le groupe dans la nuit du vendredi au samedi. La "décision la plus difficile de sa vie", plaide-t-il.
Pourtant, le dimanche matin, il envoie un mail à l'un des ses avocats. "Un inventaire à la Prévert", comme il le qualifie désormais, dans lequel il réclame des éléments comme "présider la cérémonie de projection de films réalisés par plusieurs cinéastes sur le 11-Septembre", "poursuivre les procès contre le journal Le Monde", "ne pas réintégrer l'ancien patron de Canal+ Pierre Lescure", ou encore d'autres points concernant une couverture juridique... "Je reconnais que huit ans après, ça paraît baroque", lance-t-il, soulignant le "côté pathétique" de la chose.

A la suite de cette lettre, les avocats établissent un texte dans la nuit du dimanche au lundi. "J'ai signé dans la nuit du 30 juin au 1er juillet ma démission irrévocable, indépendamment de ce qui allait advenir, sans aucune garantie" de toucher quoi que soit, assène Messier plusieurs fois pendant l'audience. "J'étais le seul signataire. A partir de ce moment, je n'ai plus de pouvoir, plus d'initiative, je ne suis plus rien", ajoute celui qui est aujourd'hui à la tête de la société de conseils Messier Partners.
Soucieux que le "Termination Agreement", conclu au 1er juillet, ne soit pas soumis au conseil d'administration du groupe, ce qui différerait l'examen de son contrat de départ, il envoie à des administrateurs "un appel de pitié" dans lequel il écrit: "Bronfman [Edgar Bronfman Jr, ancien vice-président et représentant de la famille propriétaire d'Universal, ndlr] n'en a pas besoin pour vivre, moi si !". "Ce n'est pas la lettre d'un patron mais de quelqu'un de paumé, de perdu, qui ne sait plus quoi faire", argue-t-il cette fois.
Quant à Eric Licoys, alors directeur général de la société, également poursuivi pour abus de biens sociaux pour avoir signé le golden parachute de J2M, il assure avoir "agi sur instruction [de Marc Viénot, administrateur et ancien P-DG de la Société Générale et d'Edgar Bronfman, ndlr], les yeux fermés, et en pensant défendre l'intérêt de VU".
Vendredi, le tribunal doit s'intéresser aux infractions présumées de "faits de diffusion d'informations fausses ou trompeuses", point sur lequel seront entendus Jean-Marie Messier et Guillaume Hannezo, l'ex-directeur financier de la société.
par Chloé Dussapt, journaliste à Challenges.fr, jeudi 3 juin 2010.

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