C’est un nouveau rôle dont il s’acquitte avec un certain talent, à 53 ans. Face au tribunal correctionnel de Paris, qui examine depuis mercredi les années Vivendi Universal (VU), Jean-Marie Messier est devenu un homme humble, distancié, au point de sembler parfois au bord de la repentance. Oubliées, l’assurance sans limite et l’arrogance du grand patron un brin mégalo, ce "J2M" qui jonglait avec les acquisitions et les milliards, apeurant les administrateurs de VU au point qu’ils eurent fini par le pousser à la démission, en juin 2002. Toujours habile communicant, costume impeccable mais sobre, le Jean-Marie Messier de 2010 n’a plus que les mots "bonne foi" et "honneur" à la bouche. Prudent dans son expression, déférent avec ce tribunal qui le surplombe depuis une haute estrade, il répète que tout ce qu’il a fait à l’époque était pour le bien du groupe qu’il présidait.
"En jetant un regard en arrière, certaines décisions que j’ai pu prendre, que nous avons pu prendre, n’étaient pas les meilleures. J’ai certainement commis des erreurs", a d’emblée reconnu Jean-Marie Messier à l’ouverture des débats, dans un mea culpa soigneusement cadré. S’il est jugé pour "diffusion d’informations fausses ou trompeuses", "manipulation de cours" et "abus de biens sociaux", des délits qu’il réfute, l’ancien PDG n’est guère malmené au procès que par les avocats des petits actionnaires. Le parquet a annoncé qu’il allait requérir un non-lieu, comme à la fin de l’instruction des juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons. Quant au président Miniconi, il se montre guère combatif. Du coup, les cinq anciens hauts dirigeants de VU jugés aux côtés de Jean-Marie Messier tentent de se faire oublier. Même en faisant profil bas, celui-ci reste la vedette.
La carte de la sincérité
Interrogé sur les nombreux avantages qu’il a essayé d’obtenir de VU en démissionnant, Jean-Marie Messier se pose en patron désintéressé. Quand on lui rappelle la longue liste des exigences qu’il avait formulées (quatre ans de salaire, des bonus, des primes, le loyer de son appartement à New York, sa couverture maladie, des trajets en avion…), Jean-Marie Messier joue la carte de la sincérité. Il veut bien le confesser, il y a là "un côté liste à la Prévert, et un côté pathétique". "Huit ans après, ça a l’air baroque, décalé, dérisoire", souffle-t-il, comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. "Il y avait de l’acrimonie vengeresse", aussi, constate-t-il, à propos d’une de ses demandes: continuer après son départ les procès engagés par VU contre le quotidien Le Monde.
Quant à toutes les discussions et tractations visant à lui octroyer un parachute doré de 20,6 millions d’euros, sans accord du conseil d’administration de VU (et auquel il sera d’ailleurs obligé de renoncer), l’ancien PDG essaye de démontrer qu’il n’en était pas à l’origine, et qu’il n’avait de toute façon plus aucun pouvoir de décision après sa démission. "J’ai signé seul ma démission. C’est mon honneur", répète-t-il.
Les mains jointes, Jean-Marie Messier l’assure, il avait refusé que le moindre parachute doré figurât dans son contrat de travail, et il a seulement bénéficié des mêmes conditions de départ, prévues par son contrat américain (le contrat Seagram), que celles de l’administrateur Edgar Bronfman. Est-ce sa faute? Non. C’était l’époque, et le groupe pouvait payer ces sommes-là, explique-t-il. Insistant avec émotion sur le "maelström" personnel que représentait sa démission, "le moment le plus difficile de [sa] vie", il assure n’avoir voulu que la sortie "honorable" qu’on lui avait promise. Pour le reste, dit-il à propos d’un courrier embarrassant, "ce n’est pas la lettre d’un patron, mais de quelqu’un qui ne sait plus où il en est". Conclusion de cette explication psychologisante: "J’étais à la merci de VU, qui avait la main. C’est cette bonne foi – pardon d’avoir été extraordinairement long – que je veux exprimer aujourd’hui."
Dans son livre J6M.com (une référence humoristique à son surnom, "Jean-Marie-Messier-Moi-Même-Maître-du-Monde"), publié en 2000, le PDG s’était engagé à "ne jamais négocier de golden parachute", relève une partie civile, le fantasque Me Canoy, réveillant ainsi l’assistance.
Michel Deléan - Le Journal du Dimanche
Samedi 05 Juin 2010
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