mardi 27 octobre 2009

Jean-Marie Messier, ou le capitalisme parisien tel qu'en lui-même


Le coup de colère de Jean-Marie Messier
par Mediapart

Le plus paradoxal, c'est qu'on a même vu, en ce début d'année, un Jean-Marie Messier courant micros et caméras, pour faire la promotion de son dernier livre, Le jour où le ciel nous est tombé sur la tête (Seuil), et présenter ses mille et une recommandations en faveur d'un capitalisme «éthique».


Source Médiapart par Laurent Mauduit


Par avance, on pourrait être enclin à penser qu'il n'y a pas grand-chose à attendre du procès Vivendi Universal, qui aura lieu dans le courant de l'année prochaine. Il aura fallu attendre sept ans avant que le juge d'instruction Jean-Marie d'Huy prononce le 16 octobre dernier, comme Médiapart l'a déjà raconté , une ordonnance de renvoi en correctionnelle pour sept ex-dirigeants du groupe, dont celui qui en fut le PDG, Jean-Marie Messier, poursuivi pour «informations fausses et trompeuses, manipulation de cours, et abus de biens sociaux».

Mais dans l'intervalle, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts du capitalisme parisien. On pourrait penser que le procès ne présentera guère d'intérêt. Que c'est une star déchue du gotha français des affaires qui y comparaîtra comme prévenu. En quelque sorte, une vieille affaire refera surface. Mais sans enjeu pour le présent, et plus encore pour l'avenir. Une vieille affaire, qui passionnera les magazines « people », ceux qui dans le passé chantaient perpétuellement la gloire du PDG à la chaussette trouée, mais qui en vérité n'est pas franchement digne d'intérêt.

Erreur ! Avant même qu'elle n'ait trouvé son épilogue judiciaire, cette affaire Messier est riche de très nombreux enseignements.

Si Jean-Marie Messier a perdu de sa superbe, depuis son éviction en juillet 2002 de son poste de PDG de Vivendi Universal, il serait faux de croire qu'il est une star déchue du monde français des affaires. Car il est resté un acteur important du capitalisme parisien. Il est certes moins visible, moins omniprésent, mais il y est présent, dans les coulisses. Pour avoir fait travailler Nicolas Sarkozy comme avocat du temps où il présidait aux destinées de la Générale des eaux (la future Vivendi), il a gardé des contacts d'amitié et de grande proximité avec le chef de l'Etat. Il a donc constamment ses entrées à l'Elysée. A la tête de la petite banque d'affaires qui porte son nom, Messier Partners, il y compte beaucoup de liens de confiance. En particulier, le gendre du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, est associé gérant de Messier Partners.

Avec Alain Minc, entremetteur du capitalisme parisien, Jean-Marie Messier est donc l'un de ceux qui approchent le chef de l'Etat pour parler avec lui de la vie des affaires. De proche en proche, on relève d'ailleurs sa présence lors des voyages présidentiels, un jour à Toulon, le lendemain à New York.

De surcroît, Jean-Marie Messier reste très actif dans la vie des affaires. Travaillant tantôt comme banquier pour la Caisse des dépôts ou l'une de ses filiales, comme Icade, tantôt pour les Caisses d'épargne, du temps de Charles Milhaud, il officie fréquemment comme conseil dans des affaires importantes. Il s'est simplement fait plus discret, ayant sans doute compris – mais trop tard – qu'une excessive médiatisation pouvait lui nuire.

Il n'est d'ailleurs pas le seul à avoir survécu à la tourmente de 2002. Son directeur financier, Guillaume Hannezo, lui aussi s'en est tiré sans encombre, puisqu'il est désormais associé-gérant chez Rothschild, la banque d'affaires la plus en vue et la plus influente dans l'univers de la Sarkozie.

  • Par avance, on pourrait être enclin à penser qu'il n'y a pas grand-chose à attendre du procès Vivendi Universal, qui aura lieu dans le courant de l'année prochaine. Il aura fallu attendre sept ans avant que le juge d'instruction Jean-Marie d'Huy prononce le 16 octobre dernier, comme Mediapart l'a déjà raconté, une ordonnance de renvoi en correctionnelle pour sept ex-dirigeants du groupe, dont celui qui en fut le PDG, Jean-Marie Messier, poursuivi pour «informations fausses et trompeuses, manipulation de cours, et abus de biens sociaux».

    Mais dans l'intervalle, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts du capitalisme parisien. On pourrait penser que le procès ne présentera guère d'intérêt. Que c'est une star déchue du gotha français des affaires qui y comparaîtra comme prévenu. En quelque sorte, une vieille affaire refera surface. Mais sans enjeu pour le présent, et plus encore pour l'avenir. Une vieille affaire, qui passionnera les magazines « people », ceux qui dans le passé chantaient perpétuellement la gloire du PDG à la chaussette trouée, mais qui en vérité n'est pas franchement digne d'intérêt.

    Erreur ! Avant même qu'elle n'ait trouvé son épilogue judiciaire, cette affaire Messier est riche de très nombreux enseignements.

    Si Jean-Marie Messier a perdu de sa superbe, depuis son éviction en juillet 2002 de son poste de PDG de Vivendi Universal, il serait faux de croire qu'il est une star déchue du monde français des affaires. Car il est resté un acteur important du capitalisme parisien. Il est certes moins visible, moins omniprésent, mais il y est présent, dans les coulisses. Pour avoir fait travailler Nicolas Sarkozy comme avocat du temps où il présidait aux destinées de la Générale des eaux (la future Vivendi), il a gardé des contacts d'amitié et de grande proximité avec le chef de l'Etat. Il a donc constamment ses entrées à l'Elysée. A la tête de la petite banque d'affaires qui porte son nom, Messier Partners, il y compte beaucoup de liens de confiance. En particulier, le gendre du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, est associé gérant de Messier Partners.

    Avec Alain Minc, entremetteur du capitalisme parisien, Jean-Marie Messier est donc l'un de ceux qui approchent le chef de l'Etat pour parler avec lui de la vie des affaires. De proche en proche, on relève d'ailleurs sa présence lors des voyages présidentiels, un jour à Toulon, le lendemain à New York.

    De surcroît, Jean-Marie Messier reste très actif dans la vie des affaires. Travaillant tantôt comme banquier pour la Caisse des dépôts ou l'une de ses filiales, comme Icade, tantôt pour les Caisses d'épargne, du temps de Charles Milhaud, il officie fréquemment comme conseil dans des affaires importantes. Il s'est simplement fait plus discret, ayant sans doute compris – mais trop tard – qu'une excessive médiatisation pouvait lui nuire.

    Il n'est d'ailleurs pas le seul à avoir survécu à la tourmente de 2002. Son directeur financier, Guillaume Hannezo, lui aussi s'en est tiré sans encombre, puisqu'il est désormais associé-gérant chez Rothschild, la banque d'affaires la plus en vue et la plus influente dans l'univers de la Sarkozie.
  • Les stars insubmersibles du capitalisme parisien

    C'est donc le premier enseignement de cette affaire Messier. Elle révèle quelques caractéristiques du système du capitalisme français : s'il est parfois difficile d'y percer, il est aussi rare d'y subir un véritable échec, ou du moins un échec durable. Ainsi sont les stars du capitalisme parisien: le plus souvent, elles sont insubmersibles. A la différence du capitalisme anglo-saxon, qui a le culte de la réussite, mais qui favorise aussi des échecs retentissants, le capitalisme de connivence français constitue une variété mutante, où les systèmes de caste (inspection des finances, dirigeants des milieux d'affaires...) interdisent tout système de véritable sanction. Un système auto-protégé des crises qu'il peut traverser, où chacun de ses membres est assuré par une sorte d'entente tacite, de la solidarité de ses pairs, par-delà les moments d'adversité. Et sans doute Jean-Marie Messier est-il aussi le symbole de cela. D'un étrange capitalisme, qui récompense la réussite mais ne sanctionne pas véritablement l'échec.

    Toutefois, l'affaire Vivendi Universal est aussi révélatrice de beaucoup plus de choses que cela. Elle est par exemple révélatrice des dysfonctionnements qui paralysent parfois la presse, ou des emballements ou des phénomènes de mode qui lui interdisent d'assumer sa mission, celle d'une information libre et honnête. Et la mode, en ce début d'année 2002, il faut convenir qu'elle était à l'avantage de Jean-Marie Messier.

    A l'époque, c'était le patron new-look, ambitieux mais moderne. Quel journal n'a pas chanté ses louanges ? Magic Jean-Marie ! Dans les gazettes, il n'y en avait que pour lui. D'autant plus pour lui d'ailleurs, qu'il n'était pas avare de sa propre personne : il était le PDG cathodique, parlant un jour de son propre groupe, débattant le lendemain avec José Bové des avantages et des inconvénients de la mondialisation, avec le journaliste Michel Field comme arbitre des élégances. Bref, on ne parlait que de lui. De J2M, Jean-Marie Messier, rebaptisé par les Guignols J6M : Jean-Marie Messier-Moi-Même-Maître du monde.

    Et, dans un formidable mouvement de panurgisme, toute la presse économique ne tarissait pas d'éloges pour lui. En Jean-Marie Messier, tous les médias spécialisés saluaient le formidable petit Frenchie qui avait le talent ou le courage, à moins que ce ne soit les deux à la fois, de dépoussiérer la très vieille Générale des eaux, autrefois temple du vieux capitalisme français, pour partir à l'assaut de Hollywood, et conquérir les studios de cinéma et la musique d'Universal.

    Et dans ces années-là, il ne faisait pas bon être à contre-courant. Qui a osé écrire à l'époque que derrière cette image d'un groupe à la conquête de l'Amérique – image que Jean-Marie Mesier aimait à donner de lui-même –, il y avait en fait un groupe en réalité proche de la cessation de paiement, affichant des comptes dont la sincérité était douteuse ? Ce sont ces interrogations qui sont au chœur de l'instruction de Jean-Marie d'Huy et qui alimentent son ordonnance de renvoi. Et pourtant, il faut bien admettre que nous n'avons guère été nombreux, en 2002, à chercher à aller au-delà des logiques de communication, dans lesquelles Jean-Marie Messier excellait, pour tenter de rendre compte de la situation financière alarmante dans laquelle se trouvait en fait son groupe.

    Etrange aveuglement ! Aux Etats-Unis, au lendemain des scandales financiers d'Enron ou de WorldCom, la presse anglo-saxonne, qui le plus souvent n'avait rien vu venir, s'est interrogée sur son aveuglement. Des débats déontologiques ont traversé tous les grands médias anglo-saxons. Mais en France non ! Quand il est devenu patent que les comptes de Vivendi Universal posaient des problèmes de sincérité, la presse économique n'a pas cherché à réfléchir à son propre autisme.

    • Par avance, on pourrait être enclin à penser qu'il n'y a pas grand-chose à attendre du procès Vivendi Universal, qui aura lieu dans le courant de l'année prochaine. Il aura fallu attendre sept ans avant que le juge d'instruction Jean-Marie d'Huy prononce le 16 octobre dernier, comme Mediapart l'a déjà raconté, une ordonnance de renvoi en correctionnelle pour sept ex-dirigeants du groupe, dont celui qui en fut le PDG, Jean-Marie Messier, poursuivi pour «informations fausses et trompeuses, manipulation de cours, et abus de biens sociaux».

      Mais dans l'intervalle, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts du capitalisme parisien. On pourrait penser que le procès ne présentera guère d'intérêt. Que c'est une star déchue du gotha français des affaires qui y comparaîtra comme prévenu. En quelque sorte, une vieille affaire refera surface. Mais sans enjeu pour le présent, et plus encore pour l'avenir. Une vieille affaire, qui passionnera les magazines « people », ceux qui dans le passé chantaient perpétuellement la gloire du PDG à la chaussette trouée, mais qui en vérité n'est pas franchement digne d'intérêt.

      Erreur ! Avant même qu'elle n'ait trouvé son épilogue judiciaire, cette affaire Messier est riche de très nombreux enseignements.

      Si Jean-Marie Messier a perdu de sa superbe, depuis son éviction en juillet 2002 de son poste de PDG de Vivendi Universal, il serait faux de croire qu'il est une star déchue du monde français des affaires. Car il est resté un acteur important du capitalisme parisien. Il est certes moins visible, moins omniprésent, mais il y est présent, dans les coulisses. Pour avoir fait travailler Nicolas Sarkozy comme avocat du temps où il présidait aux destinées de la Générale des eaux (la future Vivendi), il a gardé des contacts d'amitié et de grande proximité avec le chef de l'Etat. Il a donc constamment ses entrées à l'Elysée. A la tête de la petite banque d'affaires qui porte son nom, Messier Partners, il y compte beaucoup de liens de confiance. En particulier, le gendre du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, est associé gérant de Messier Partners.

      Avec Alain Minc, entremetteur du capitalisme parisien, Jean-Marie Messier est donc l'un de ceux qui approchent le chef de l'Etat pour parler avec lui de la vie des affaires. De proche en proche, on relève d'ailleurs sa présence lors des voyages présidentiels, un jour à Toulon, le lendemain à New York.

      De surcroît, Jean-Marie Messier reste très actif dans la vie des affaires. Travaillant tantôt comme banquier pour la Caisse des dépôts ou l'une de ses filiales, comme Icade, tantôt pour les Caisses d'épargne, du temps de Charles Milhaud, il officie fréquemment comme conseil dans des affaires importantes. Il s'est simplement fait plus discret, ayant sans doute compris – mais trop tard – qu'une excessive médiatisation pouvait lui nuire.

      Il n'est d'ailleurs pas le seul à avoir survécu à la tourmente de 2002. Son directeur financier, Guillaume Hannezo, lui aussi s'en est tiré sans encombre, puisqu'il est désormais associé-gérant chez Rothschild, la banque d'affaires la plus en vue et la plus influente dans l'univers de la Sarkozie.

    • C'est donc le premier enseignement de cette affaire Messier. Elle révèle quelques caractéristiques du système du capitalisme français : s'il est parfois difficile d'y percer, il est aussi rare d'y subir un véritable échec, ou du moins un échec durable. Ainsi sont les stars du capitalisme parisien: le plus souvent, elles sont insubmersibles. A la différence du capitalisme anglo-saxon, qui a le culte de la réussite, mais qui favorise aussi des échecs retentissants, le capitalisme de connivence français constitue une variété mutante, où les systèmes de caste (inspection des finances, dirigeants des milieux d'affaires...) interdisent tout système de véritable sanction. Un système auto-protégé des crises qu'il peut traverser, où chacun de ses membres est assuré par une sorte d'entente tacite, de la solidarité de ses pairs, par-delà les moments d'adversité. Et sans doute Jean-Marie Messier est-il aussi le symbole de cela. D'un étrange capitalisme, qui récompense la réussite mais ne sanctionne pas véritablement l'échec.

      Toutefois, l'affaire Vivendi Universal est aussi révélatrice de beaucoup plus de choses que cela. Elle est par exemple révélatrice des dysfonctionnements qui paralysent parfois la presse, ou des emballements ou des phénomènes de mode qui lui interdisent d'assumer sa mission, celle d'une information libre et honnête. Et la mode, en ce début d'année 2002, il faut convenir qu'elle était à l'avantage de Jean-Marie Messier.

      A l'époque, c'était le patron new-look, ambitieux mais moderne. Quel journal n'a pas chanté ses louanges ? Magic Jean-Marie ! Dans les gazettes, il n'y en avait que pour lui. D'autant plus pour lui d'ailleurs, qu'il n'était pas avare de sa propre personne : il était le PDG cathodique, parlant un jour de son propre groupe, débattant le lendemain avec José Bové des avantages et des inconvénients de la mondialisation, avec le journaliste Michel Field comme arbitre des élégances. Bref, on ne parlait que de lui. De J2M, Jean-Marie Messier, rebaptisé par les Guignols J6M : Jean-Marie Messier-Moi-Même-Maître du monde.

      Et, dans un formidable mouvement de panurgisme, toute la presse économique ne tarissait pas d'éloges pour lui. En Jean-Marie Messier, tous les médias spécialisés saluaient le formidable petit Frenchie qui avait le talent ou le courage, à moins que ce ne soit les deux à la fois, de dépoussiérer la très vieille Générale des eaux, autrefois temple du vieux capitalisme français, pour partir à l'assaut de Hollywood, et conquérir les studios de cinéma et la musique d'Universal.

      Et dans ces années-là, il ne faisait pas bon être à contre-courant. Qui a osé écrire à l'époque que derrière cette image d'un groupe à la conquête de l'Amérique – image que Jean-Marie Mesier aimait à donner de lui-même –, il y avait en fait un groupe en réalité proche de la cessation de paiement, affichant des comptes dont la sincérité était douteuse ? Ce sont ces interrogations qui sont au chœur de l'instruction de Jean-Marie d'Huy et qui alimentent son ordonnance de renvoi. Et pourtant, il faut bien admettre que nous n'avons guère été nombreux, en 2002, à chercher à aller au-delà des logiques de communication, dans lesquelles Jean-Marie Messier excellait, pour tenter de rendre compte de la situation financière alarmante dans laquelle se trouvait en fait son groupe.

      Etrange aveuglement ! Aux Etats-Unis, au lendemain des scandales financiers d'Enron ou de WorldCom, la presse anglo-saxonne, qui le plus souvent n'avait rien vu venir, s'est interrogée sur son aveuglement. Des débats déontologiques ont traversé tous les grands médias anglo-saxons. Mais en France non ! Quand il est devenu patent que les comptes de Vivendi Universal posaient des problèmes de sincérité, la presse économique n'a pas cherché à réfléchir à son propre autisme.
    • L'autisme de la presse ou des auditeurs

      Qu'il nous soit ici permis de le dire : cela a même été pire que cela ! Quand ma consœur Martine Orange (qui travaillait à l'époque avec moi au Monde, et qui est aujourd'hui comme moi à Mediapart) a, la première, révélé que loin d'être en pleine ascension, le groupe Vivendi Universal était en situation économique délabrée, croulant sous l'endettement du fait d'une course folle d'acquisitions, cela a déclenché une tempête. Non pas seulement, quelque temps plus tard, contre Jean-Marie Messier. Non ! Tout autant contre notre collectivité, contre le journalisme d'investigations que nous voulions défendre.

      Que l'on se souvienne, par exemple, du livre La Face cachée du Monde, de Pierre Péan et Philippe Cohen (Edition Mille et une nuits), qui a connu en 2003, soit un an après la chute de Jean-Marie Messier, un très large écho. Apportant quelques révélations sur le journal, mais dans un torrent d'approximations et de contrevérités, le livre (qui épargnait par ailleurs assez largement Alain Minc) multipliait à l'époque les attaques contre le journalisme d'investigation, et ceux, au sein de ce quotidien, qui cherchaient à le défendre. Et, au nombre de ces attaques, il y avait celle-ci : c'est dans un obscur désir de vengeance que Le Monde aurait mené cette enquête sur le groupe Vivendi Universal.

      Et pour mener à bien leur charge, les deux auteurs allaient jusqu'à tourner en dérision la formule qui résumait nos enquêtes d'alors, celle de « quasi-cessation de paiements ». La formule est « spectaculaire mais erronée », rétorquaient les deux auteurs.

      L'ordonnance de renvoi du juge Jean-Marie d'Huy a donc aussi cet intérêt de mettre un point final à quelques mauvaises polémiques ou calomnies, et, en creux, de souligner que c'est un travail d'investigation journalistique, méthodique, qui a le premier permis de pointer les très grandes fragilités et les dysfonctionnements d'un groupe que tout le monde donnait pourtant en modèle. En quelque sorte, l'affaire Vivendi/Messier vient souligner l'impérieuse nécessité du journalisme d'investigation, surtout en ces affaires financières où la transparence n'est pas souvent de mise.

      Cette affaire est aussi révélatrice des dysfonctionnements dont ont longtemps pâti – ou pâtissent toujours – certains métiers liés à la vie des affaires, comme ceux d'analystes, ou ceux d'auditeurs.

      Dans le cas des analystes, l'affaire Vivendi a en effet agi en France comme un révélateur. Car dans la multitude des opinions et diagnostics établis par cette profession, au moment où Jean-Marie Messier se trouvait au faîte de sa puissance, il y en eut très peu de lucides ou de pertinentes. Comme beaucoup de journalistes, les analystes, dans leur très grand nombre, étaient très louangeurs et n'ont pas eu assez d'indépendance pour mesurer que le groupe Vivendi était en fait très fragile.

      En France, il ne s'est en fait trouvé qu'un seul analyste, celui de l'ex-Crédit lyonnais, Edouard Tétreau, pour oser s'écarter de la mode du moment, et  faire des diagnostics qui recoupaient les enquêtes de l'époque du Monde. Et pour l'intéressé, qui depuis a changé d'horizons, cela n'a sûrement pas été facile : dans un livre précisément intitulé ANALYSTE il a raconté avec brio en 2005 à quel point il est difficile pour quelqu'un de ce métier d'émettre des avis qui vont radicalement à l'opposé de ce que veulent entendre les marchés ; la difficulté, en quelque sorte, de faire ce métier dans une logique d'indépendance.

      • Par avance, on pourrait être enclin à penser qu'il n'y a pas grand-chose à attendre du procès Vivendi Universal, qui aura lieu dans le courant de l'année prochaine. Il aura fallu attendre sept ans avant que le juge d'instruction Jean-Marie d'Huy prononce le 16 octobre dernier, comme Mediapart l'a déjà raconté, une ordonnance de renvoi en correctionnelle pour sept ex-dirigeants du groupe, dont celui qui en fut le PDG, Jean-Marie Messier, poursuivi pour «informations fausses et trompeuses, manipulation de cours, et abus de biens sociaux».

        Mais dans l'intervalle, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts du capitalisme parisien. On pourrait penser que le procès ne présentera guère d'intérêt. Que c'est une star déchue du gotha français des affaires qui y comparaîtra comme prévenu. En quelque sorte, une vieille affaire refera surface. Mais sans enjeu pour le présent, et plus encore pour l'avenir. Une vieille affaire, qui passionnera les magazines « people », ceux qui dans le passé chantaient perpétuellement la gloire du PDG à la chaussette trouée, mais qui en vérité n'est pas franchement digne d'intérêt.

        Erreur ! Avant même qu'elle n'ait trouvé son épilogue judiciaire, cette affaire Messier est riche de très nombreux enseignements.

        Si Jean-Marie Messier a perdu de sa superbe, depuis son éviction en juillet 2002 de son poste de PDG de Vivendi Universal, il serait faux de croire qu'il est une star déchue du monde français des affaires. Car il est resté un acteur important du capitalisme parisien. Il est certes moins visible, moins omniprésent, mais il y est présent, dans les coulisses. Pour avoir fait travailler Nicolas Sarkozy comme avocat du temps où il présidait aux destinées de la Générale des eaux (la future Vivendi), il a gardé des contacts d'amitié et de grande proximité avec le chef de l'Etat. Il a donc constamment ses entrées à l'Elysée. A la tête de la petite banque d'affaires qui porte son nom, Messier Partners, il y compte beaucoup de liens de confiance. En particulier, le gendre du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, est associé gérant de Messier Partners.

        Avec Alain Minc, entremetteur du capitalisme parisien, Jean-Marie Messier est donc l'un de ceux qui approchent le chef de l'Etat pour parler avec lui de la vie des affaires. De proche en proche, on relève d'ailleurs sa présence lors des voyages présidentiels, un jour à Toulon, le lendemain à New York.

        De surcroît, Jean-Marie Messier reste très actif dans la vie des affaires. Travaillant tantôt comme banquier pour la Caisse des dépôts ou l'une de ses filiales, comme Icade, tantôt pour les Caisses d'épargne, du temps de Charles Milhaud, il officie fréquemment comme conseil dans des affaires importantes. Il s'est simplement fait plus discret, ayant sans doute compris – mais trop tard – qu'une excessive médiatisation pouvait lui nuire.

        Il n'est d'ailleurs pas le seul à avoir survécu à la tourmente de 2002. Son directeur financier, Guillaume Hannezo, lui aussi s'en est tiré sans encombre, puisqu'il est désormais associé-gérant chez Rothschild, la banque d'affaires la plus en vue et la plus influente dans l'univers de la Sarkozie.

      • C'est donc le premier enseignement de cette affaire Messier. Elle révèle quelques caractéristiques du système du capitalisme français : s'il est parfois difficile d'y percer, il est aussi rare d'y subir un véritable échec, ou du moins un échec durable. Ainsi sont les stars du capitalisme parisien: le plus souvent, elles sont insubmersibles. A la différence du capitalisme anglo-saxon, qui a le culte de la réussite, mais qui favorise aussi des échecs retentissants, le capitalisme de connivence français constitue une variété mutante, où les systèmes de caste (inspection des finances, dirigeants des milieux d'affaires...) interdisent tout système de véritable sanction. Un système auto-protégé des crises qu'il peut traverser, où chacun de ses membres est assuré par une sorte d'entente tacite, de la solidarité de ses pairs, par-delà les moments d'adversité. Et sans doute Jean-Marie Messier est-il aussi le symbole de cela. D'un étrange capitalisme, qui récompense la réussite mais ne sanctionne pas véritablement l'échec.

        Toutefois, l'affaire Vivendi Universal est aussi révélatrice de beaucoup plus de choses que cela. Elle est par exemple révélatrice des dysfonctionnements qui paralysent parfois la presse, ou des emballements ou des phénomènes de mode qui lui interdisent d'assumer sa mission, celle d'une information libre et honnête. Et la mode, en ce début d'année 2002, il faut convenir qu'elle était à l'avantage de Jean-Marie Messier.

        A l'époque, c'était le patron new-look, ambitieux mais moderne. Quel journal n'a pas chanté ses louanges ? Magic Jean-Marie ! Dans les gazettes, il n'y en avait que pour lui. D'autant plus pour lui d'ailleurs, qu'il n'était pas avare de sa propre personne : il était le PDG cathodique, parlant un jour de son propre groupe, débattant le lendemain avec José Bové des avantages et des inconvénients de la mondialisation, avec le journaliste Michel Field comme arbitre des élégances. Bref, on ne parlait que de lui. De J2M, Jean-Marie Messier, rebaptisé par les Guignols J6M : Jean-Marie Messier-Moi-Même-Maître du monde.

        Et, dans un formidable mouvement de panurgisme, toute la presse économique ne tarissait pas d'éloges pour lui. En Jean-Marie Messier, tous les médias spécialisés saluaient le formidable petit Frenchie qui avait le talent ou le courage, à moins que ce ne soit les deux à la fois, de dépoussiérer la très vieille Générale des eaux, autrefois temple du vieux capitalisme français, pour partir à l'assaut de Hollywood, et conquérir les studios de cinéma et la musique d'Universal.

        Et dans ces années-là, il ne faisait pas bon être à contre-courant. Qui a osé écrire à l'époque que derrière cette image d'un groupe à la conquête de l'Amérique – image que Jean-Marie Mesier aimait à donner de lui-même –, il y avait en fait un groupe en réalité proche de la cessation de paiement, affichant des comptes dont la sincérité était douteuse ? Ce sont ces interrogations qui sont au chœur de l'instruction de Jean-Marie d'Huy et qui alimentent son ordonnance de renvoi. Et pourtant, il faut bien admettre que nous n'avons guère été nombreux, en 2002, à chercher à aller au-delà des logiques de communication, dans lesquelles Jean-Marie Messier excellait, pour tenter de rendre compte de la situation financière alarmante dans laquelle se trouvait en fait son groupe.

        Etrange aveuglement ! Aux Etats-Unis, au lendemain des scandales financiers d'Enron ou de WorldCom, la presse anglo-saxonne, qui le plus souvent n'avait rien vu venir, s'est interrogée sur son aveuglement. Des débats déontologiques ont traversé tous les grands médias anglo-saxons. Mais en France non ! Quand il est devenu patent que les comptes de Vivendi Universal posaient des problèmes de sincérité, la presse économique n'a pas cherché à réfléchir à son propre autisme.

      • Qu'il nous soit ici permis de le dire : cela a même été pire que cela ! Quand ma consœur Martine Orange (qui travaillait à l'époque avec moi au Monde, et qui est aujourd'hui comme moi à Mediapart) a, la première, révélé que loin d'être en pleine ascension, le groupe Vivendi Universal était en situation économique délabrée, croulant sous l'endettement du fait d'une course folle d'acquisitions, cela a déclenché une tempête. Non pas seulement, quelque temps plus tard, contre Jean-Marie Messier. Non ! Tout autant contre notre collectivité, contre le journalisme d'investigations que nous voulions défendre.

        Que l'on se souvienne, par exemple, du livre La Face cachée du Monde, de Pierre Péan et Philippe Cohen (Edition Mille et une nuits), qui a connu en 2003, soit un an après la chute de Jean-Marie Messier, un très large écho. Apportant quelques révélations sur le journal, mais dans un torrent d'approximations et de contrevérités, le livre (qui épargnait par ailleurs assez largement Alain Minc) multipliait à l'époque les attaques contre le journalisme d'investigation, et ceux, au sein de ce quotidien, qui cherchaient à le défendre. Et, au nombre de ces attaques, il y avait celle-ci : c'est dans un obscur désir de vengeance que Le Monde aurait mené cette enquête sur le groupe Vivendi Universal.

        Et pour mener à bien leur charge, les deux auteurs allaient jusqu'à tourner en dérision la formule qui résumait nos enquêtes d'alors, celle de « quasi-cessation de paiements ». La formule est « spectaculaire mais erronée », rétorquaient les deux auteurs.

        L'ordonnance de renvoi du juge Jean-Marie d'Huy a donc aussi cet intérêt de mettre un point final à quelques mauvaises polémiques ou calomnies, et, en creux, de souligner que c'est un travail d'investigation journalistique, méthodique, qui a le premier permis de pointer les très grandes fragilités et les dysfonctionnements d'un groupe que tout le monde donnait pourtant en modèle. En quelque sorte, l'affaire Vivendi/Messier vient souligner l'impérieuse nécessité du journalisme d'investigation, surtout en ces affaires financières où la transparence n'est pas souvent de mise.

        Cette affaire est aussi révélatrice des dysfonctionnements dont ont longtemps pâti – ou pâtissent toujours – certains métiers liés à la vie des affaires, comme ceux d'analystes, ou ceux d'auditeurs.

        Dans le cas des analystes, l'affaire Vivendi a en effet agi en France comme un révélateur. Car dans la multitude des opinions et diagnostics établis par cette profession, au moment où Jean-Marie Messier se trouvait au faîte de sa puissance, il y en eut très peu de lucides ou de pertinentes. Comme beaucoup de journalistes, les analystes, dans leur très grand nombre, étaient très louangeurs et n'ont pas eu assez d'indépendance pour mesurer que le groupe Vivendi était en fait très fragile.

        En France, il ne s'est en fait trouvé qu'un seul analyste, celui de l'ex-Crédit lyonnais, Edouard Tétreau, pour oser s'écarter de la mode du moment, et  faire des diagnostics qui recoupaient les enquêtes de l'époque du Monde. Et pour l'intéressé, qui depuis a changé d'horizons, cela n'a sûrement pas été facile : dans un livre précisément intitulé Analyste, il a raconté avec brio en 2005 à quel point il est difficile pour quelqu'un de ce métier d'émettre des avis qui vont radicalement à l'opposé de ce que veulent entendre les marchés ; la difficulté, en quelque sorte, de faire ce métier dans une logique d'indépendance.
      • Esprit de corps entre inspecteurs des finances

        Dans le cas des auditeurs, la leçon de ces événements est encore plus cruelle. Car en certains pays, de graves erreurs peuvent avoir de lourdes sanctions. Aux Etats-Unis, par exemple, les mêmes scandales d'Enron ou de WorldCom ont eu un terrible choc en retour : figurant parmi les plus grands cabinets d'audit, Andersen a mordu la poussière et a été démantelé. Mais en France, non ! Les auditeurs n'ont pas eu ce souci-là. A l'inverse, le chef de la déontologie du cabinet Salustro (l'un des deux cabinets qui auditaient les comptes de Vivendi), qui avait eu l'audace de formuler des critiques contre les procédures comptables retenues par le groupe de Jean-Marie Messier, s'est retrouvé à l'époque prestement mis à la porte. Et la réaction de la Commission des opérations de Bourse (devenue depuis Autorité des marchés financiers) n'a été que tardive et peu énergique.

        Et puis la leçon est aussi accablante pour cette même autorité qui supervise les marchés, l'ex-COB, devenue AMF. Car à l'époque, quand Le Monde avait pointé que le groupe était proche de la cessation de paiements, en avril 2002, et que la sincérité des comptes du groupe faisait à tout le moins débat, la COB n'a pas réagi. Et il a fallu attendre de très longs mois, et même après l'éviction de Jean-Marie Messier, pour que la COB sorte de sa torpeur.

        S'agissait-il d'ailleurs de torpeur ? Entre l'inspecteur des finances, Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi Universal, et l'inspecteur des finances Michel Prada, président de la COB, les liens étaient chaleureux et conviviaux. Et dans ce monde très policé issu de la très haute fonction publique, dans ce monde où l'esprit de corps joue fortement, l'habitude a longtemps été de trouver des solutions amiables, civiles. Hors, en tous les cas, des procédures qui peuvent conduire à des sanctions publiques. Pour parler clair, la COB n'a longtemps pas fait son office. Et elle ne s'y est résolue qu'après la chute du patron de Vivendi.

        Et dans ce vaste tour d'horizon des dysfonctionnements que révèle cette chronique sur Jean-Marie Messier, on pourrait tout autant englober la justice. Car sans grande surprise, c'est un non-lieu que le Parquet avait requis, le 23 janvier dernier, dans cette affaire Vivendi, considérant que les charges à l'encontre des sept mis en examen n'étaient pas suffisamment caractérisées pour justifier leur renvoi devant le tribunal correctionnel. Si la réforme voulue par Nicolas Sarkozy tendant à supprimer les juges d'instruction avait déjà force de loi, on comprend donc ce que serait devenue notre affaire : elle se serait arrêtée là, sans que l'affaire soit jugée.

        Bref, tout cela dessine les contours du capitalisme français. Les contours d'un capitalisme très peu transparent, assez fortement consanguin, assez replié sur lui-même.




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