lundi 18 novembre 2013

Un moment d’humanité éclaire le procès Vivendi


La présidente de la 5ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris poursuit l’examen des abus de biens sociaux reprochés à Jean-Marie Messier. Suite des extraits de l’audience du 6 novembre 2013.

La présidente Mireille Filippini reprend les événements de ce début d’été 2002. « Le 27 juin les administrateurs français se réunissent dans les bureaux d’Alcatel. Ils décident que vous devez démissionner et mandatent messieurs Friedmann et Lachmann pour vous le dire. Le 28 juin à midi, monsieur Friedmann prend contact avec vous et vous rencontre l’après-midi avec Mr Lachmann. Le 29 juin vous les appelez, selon leurs déclarations, en demandant d’être traité honorablement, comme Mr Bronfman en 2001 ».
-         Comme souvent dans un putsch, vous êtes le dernier informé, répond Jean-Marie Messier. Le mercredi, quand Mr Bronfman demande ma révocation, elle est rejetée par 9 voix contre 5. Ma réaction à la sortie du conseil est de dire « on se remet au travail ». Je suis loin de savoir qu’un premier contact pour me remplacer a été pris avec Jean-René Fourtou depuis le mois de mai.
-         Le 25 juin il y a eu cette crise avec la note d’audit de Goldman Sachs assez pessimiste.
-         Tous les administrateurs américains votaient en bloc ma révocation, tous les administrateurs français votaient la confiance, rappelle Jean-Marie Messier. Qu’il y ait eu une crise de confiance à mon encontre, je ne vais pas vous dire le contraire. Que cette crise ait été instrumentalisée et amplifiée par les médias, je ne vais pas dire le contraire. Mais je croyais à ce que je faisais, c’est pourquoi je voulais que les actionnaires décident de mon sort en AG. La note de Goldman Sachs n’était pas un audit mais un « scénario ». Il y avait quatre scénarios et celui du management. Dix ans après, ce qui s’est passé est intermédiaire entre celui du management et l’un des scénarios de Goldman Sachs.
La magistrate suit l’ex-PDG dans son récit pour le ramener à ses questions. « Mr Viénot dit qu’il soutient les mesures prises par Jean-Marie Messier. Mr Dejouany aussi dit que les projets de Jean-Marie Messier sont une étape dans la bonne direction. Seul Mr Arnault avait démissionné peu de temps avant. Pourquoi avoir changé d’avis le 29 juin à midi ?

-         Je n’ai pas envie de commenter une décision qui appartient à Bernard Arnault, précise d’emblée l’ex-PDG, comme par prudence. J’ai appris quelques heures après la visite de Lachmann que Fourtou avait été contacté et j’ai compris la duplicité d’administrateurs qui ont voté ma confiance le 25 dans l’attente d’un accord de mon successeur pour tirer le tapis. Guillaume Hannezo est venu me parler dans l’après-midi de l’attitude des banques liées aux conjurés, des agences de notations. Après… c’est difficile. Sa gorge se serre. Les mots sortent plus lentement, comme assourdis par le poids d’un souvenir encore douloureux. C’est, tempête sous un crâne, lâche-t-il d’une voix presque étouffée.

A ce moment, les mots prononcés par Jean-Marie Messier prennent une autre signification qu’en titre de son livre. On n’imagine plus seulement cette « tempête sous un crâne » comme un exercice lointain d’autobiographie biaisée par la pression des procès ; on la partage un peu à travers l’évocation du passage à vide qui l’a visiblement marqué.
Même si les conditions de cet épisode pénible peuvent paraître décalées, au commun des mortels qui n’a pas vécu son destin flamboyant, l’audience s’est faite plus silencieuse, attentive aux cicatrices morales que dévoile l’ex-PDG derrière son masque de totem du capitalisme arrogant.
Les blessures, la solitude, le découragement face à une partie de son univers qui s’écroule, chacun dans l’assistance connaît leur réalité, pour l’avoir vécue ou croisée. Chacun soupèse combien le sentiment de détresse peut frapper d’innombrables personnes de toutes conditions, à tout âge, dans des situations les plus diverses. Même Jean-Marie Messier.

Ce moment de vérité éclaire le procès d’un petit supplément d’âme. Quelles que soient ses responsabilités et sa culpabilité, en partie établies par la justice, ou l’innocence qu’il est venu plaider en appel, Jean-Marie Messier, dans cet instant de fragilité, regagne la dignité qui lui est due en tant qu’être humain.

Les projecteurs s’éloignent aussi un peu de l’individu pour éclairer l’ensemble de la scène dont il joue le premier rôle. En brisant la carapace d’égo de l’ex-PDG, cette audience rappelle en effet au public que ce procès dépasse l’enjeu individuel de sa condamnation, pour s’inscrire dans l’effort plus ambitieux d’une société luttant contre ses propres dérives. Des puissants qui s’égarent ou dérapent, au détriment du bien commun dont ils ont la charge, il y en a eu avant lui et il y en aura d’autres après.

Cette affaire Vivendi symbolise-elle, plus ou moins que d’autres, les dérives de son époque ? Comparaison n’est pas raison. Les procès passent et la nature humaine demeure, avec ses facettes plus ou moins obscures. A travers ces procès de la cupidité, exercices de vérité presque contrits, notre société examine en réalité sa propre conscience collective. Et par moment, comme aujourd’hui au procès de Jean-Marie Messier, les acteurs principaux retrouvent devant la justice une partie de la dimension humaine qu’ils avaient perdue dans leur flamboyance.

Source: Publié le 14 novembre 2013 par Gilles Pouzin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez vos impressions