Il faut lire et relire cet exceptionnel réquisitoire, prononcé dans l'après-midi du lundi 24 octobre, par le procureur Benjamin Branchet, au procès de piratage économique instruit depuis une semaine devant le tribunal de Nanterre.
Qu'en ces temps tourmentés, et à l'aube d'une campagne présidentielle, un procureur se lève au nom de la société pour rappeler l'urgence qu'il y a à protéger les libertés individuelles et à lutter contre les "officines" de toutes sortes n'est pas anodin.
Voici l'essentiel de son adresse au tribunal:
"Votre devoir est de dire à tous ceux qui gravitent autour de la nébuleuse de l'intelligence économique que l'état de droit ne saurait tolérer l'usage de procédés qui, outre le fait de le blesser, instillent de manière sournoise dans l'esprit collectif qu'en dehors de l'action régulière des pouvoirs publics, il existe des groupes d'individus formant des officines privées et maîtrisant des procédés d'investigation que seule la police républicaine est normalement en droit d'utiliser et ce, dans le seul dessein de satisfaire des intérêts privés.
Tout ce qui contribue à faire prospérer ce monde souterrain interlope où règnent le secret, la clandestinité, l'application d'une loi qui n'est pas celle de la République et l'intimidation doit être condamné avec fermeté.
Autrement, le citoyen achèvera une mithridatisation qui mettra en péril le pacte social.
Lorsqu'il prend conscience qu'une société telle qu'EDF aussi réputée dans le monde et dont la France peut s'enorgueillir, tolère sinon encourage le recours à de telles pratiques, comment ce citoyen pourrait-il conserver une totale confiance aux décideurs publics ou privés qui exigent de lui respect et sacrifice financier?
Comment pourrait-il assurer à ses enfants que l'observation de la loi est l'unique rempart contre l'arbitraire et l'abus de pouvoir, si la République se double d'un univers régi par des normes dictées par la seule puissance individuelle et qui se plaît à mettre en échec des règles dont le corps social s'est démocratiquement doté?
Ce type de dossier est emblématique et c'est l'honneur de la justice que vous représentez aujourd'hui de rappeler à tous que l'égalité devant la loi constitue certainement le socle sur lequel repose l'édifice républicain. Le bâtir ne fut pas une mince affaire, l'histoire de notre pays en est le témoin. Le laisser se fissurer nous exposerait tous à voir disparaître avec effroi ce qui fait la grandeur de la France: la protection des droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs.
Nul ne doit se sentir autorisé à violer la loi, quels que soient sa fonction, son passé et l'état de ses réseaux d'influence. C'est ce message solennel que vous devez, par votre jugement, adresser aux prévenus.
Le procureur avait auparavant examiné les responsabilités individuelles des six prévenus de cette affaire, dont celle de l'entreprise EDF poursuivie en qualité de personne morale et requis contre eux des peines de six mois à dix-huit mois ferme, assorties d'amende. Il a également requis une amende de 1,5 million d'euros contre EDF.
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