mardi 2 février 2010

Face à une éventuelle autorisation du démarchage, la profession reste prudente

La directive "services" mettra-t-elle fin à l'interdiction faite aux avocats de démarcher des clients ? C'est en substance, la question qui se pose, après que le Conseil d'Etat a renvoyé devant la CJCE, début mars une requête du cabinet d'experts-comptables Fiducial, qui demandait au Conseil d'Etat d'annuler l'interdiction de démarchage frappant la profession.

La raison ? L'article 24 de la directive relative aux services dans le marché intérieur, dite "directive services", qui précise que "les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales de professions réglementées". Avant d'ajouter que ces mêmes Etats membres doivent veiller à ce que "les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession". Si la CJCE donnait raison à Fiducial, la profession d'avocats pourrait elle aussi être concernée par ce changement.
Effet pervers

"Ce qui me gène dans cet article c'est l'emploi du mot "commercial"", commente Vincent Canut, secrétaire de la commission Publicité de l'ordre des avocats de Paris. "Je vois mal comment on peut parler du mot "commercial" en parlant de dignité", poursuit-il. Me Canut ne voit pas de "remise en question" de l'interdiction du démarchage par la directive services, notamment grâce à la deuxième partie de l'article 24. "De toute façon, l'autorisation du démarchage agressif aurait un effet pervers pour les avocats", explique-t-il. " Imaginez la réaction du directeur juridique d'une société qui recevrait des sollicitations d'avocats toute la journée. Il finirait par être exaspéré."
La limite entre "communication commerciale" et démarchage est ténue

Une analyse partagée en partie par Jean-Jacques Taisne, auteur de La déontologie de l'avocat. "Toute la question est de savoir si la "communication commerciale" peut aller jusqu'au démarchage", analyse-t-il. "La limite est ténue", admet-il. L'article 12 de la directive précise en effet que la communication commerciale est une communication "destinée à promouvoir les biens, les services ou l'image".
Or pour définir le "démarchage", le droit français utilise, lui, la notion d'"offre de service personnalisée". "Mon sentiment est que la définition de la directive n'englobe pas nécessairement la notion "d'offre de service", surtout "personnalisée"", souligne Jean-Jacques Taisne. Avant d'ajouter: "Mais je ne peux pas exclure que certains tenteront de soutenir le contraire !".
Une plainte par mois

Dans sa région, le barreau de Cambrai, maître Taisne dit ne pas ressentir "une grande pression" en faveur du démarchage. "La profession reste prudente", note-t-il. Quant à la commission que préside Vincent Canut, elle est saisie, "environ une fois par mois" de la plainte d'un avocat pour se plaindre d'un démarchage auprès de l'un de ses propres clients par un confrère.
Henri Ader, co-auteur de Règles de la profession d'avocat, voit dans ce possible mouvement "une influence des Anglo-saxons et des Nordiques, que la déontologie à la française gène". "Il y a un mouvement général qui tend à affaiblir notre état de confident nécessaire", poursuit-il. Il évoque certains de ses confrères français qui "laissent leurs cartes de visite traîner partout et sans raison". "C'est une forme de démarchage sournois", souligne-t-il.
"Je ne suis pas un marchand de lessive"

Si les cas de démarchage existent sans aucun doute, difficile de trouver des partisans de l'évolution des règles de la profession en ce sens. "Le sujet est très politique. On pourrait imaginer que les règles nous permettent par exemple de citer un cabinet d'avocats dans un communiqué de presse publié à l'issue d'un procès", concède un associé d'un grand cabinet français. Mais pas question d'aller plus loin. "Je ne suis pas certain d'avoir envie d'être un marchand de lessive", poursuit la même source.
Une décision dans deux ans ?

Même si la France a officiellement jusqu'au 28 décembre pour transposer cette directive en droit national, il y a fort à parier que le législateur français ne se prononcera pas sur ce point précis, et que la profession devra attendre la décision de la CJCE pour trancher. Elle pourrait intervenir dans deux ans.

En attendant, c'est le règlement intérieur harmonisé des barreaux qui demeure en vigueur. "Tout acte de démarchage et de sollicitation est interdit à l'avocat", précise l'article 10 de ce texte. Qui a le mérite d'être clair.

source: actu-avocat

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez vos impressions