mardi 19 novembre 2013

Un avocat et des administrateurs de Vivendi pas très clairs


Quatrième et dernière partie des extraits de l’audience du 6 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris qui doit rejuger les accusations d’abus de bien social dont Jean-Marie Messier a été reconnu coupable par le jugement du 21 janvier 2011.

Entre le double jeu des administrateurs et les affirmations douteuses de leur avocat, Vivendi n’a pas le beau rôle au procès en appel de Jean-Marie Messier.

La présidente Mireille Filippini poursuit son examen des conditions pas très claires dans lesquelles Jean-Marie Messier s’est vu attribuer un parachute doré de 18 millions d’euros, qui ne sera jamais validé ni payé, plus ou moins en échange de sa démission.

-         On vous donne un document que vous n’avez jamais lu avant, reprend Eric Licoys dans son récit. On vous dit de le signer, qu’il sera validé en conseil d’administration, tout ça avec cette assurance qu’ont les avocats dans leurs affirmations. Sur cette affaire je leur en veux !

-         Il faut post-dater le contrat pour qu’il soit postérieur à la démission du président, pour que ce ne soit plus une convention réglementée et qu’il n’ait donc plus besoin de l’accord préalable du conseil d’administration. Pratt se doutait bien en tant que juriste, que ce contrat est une convention réglementée soumise au conseil d’administration, aux commissaires aux comptes et à l’assemblée générale des actionnaires. Vous avez entendu parler de ça ?

-         Ils sont arrivés avec leur aura d’avocats réputés, leur image de grand cabinet fiable et ils m’ont fait signer dans la force de précipitation.

-         Il ne faut pas se fier à l’image, ironise la présidente. Mr Viénot dit que vous avez sûrement signé par amitié avec Jean-Marie Messier.

-         Je trouve ça tout à fait scandaleux, lâche Eric Licoys avec une irritation contenue. C’est faux ! C’est lâche ! Ce n’est pas bien, s’offusque-t-il avec conviction.

-         Tout le monde connaît ce contrat mais personne n’en parle au conseil du 3 juillet 2002, c’est ça que je trouve stupéfiant, insiste la présidente. Enfin jusqu’à ce que Pratt leur laisse subodorer que c’est le conseil d’administration dans son ensemble qui risque d’être poursuivi pour abus de bien social. A moins qu’ils aient été tellement peu fiers qu’ils avaient peur d’approuver ce document ? Vous l’avez signé à quelle heure monsieur Messier ?

-         Dans la journée, répond l’ex-PDG.

-         Et vous, monsieur Licoys ?

-         En fin de journée, vers 18h30, répond l’ex-DG.

Citant ce « terminator agreement » comme elle s’amuse souvent à l’appeler, la présidente reprend l’exploration des hypothèses ayant pu motiver sa clandestinité.

-         Ce n’était pas une bonne idée de demander au conseil d’administration son accord, il y aurait eu le problème d’ABS s’il y avait eu une acceptation et il n’aurait probablement pas donné son accord, poursuit la magistrate à l’attention de l’ex-PDG.

-         Ma démission est déjà arrêtée dans la nuit du dimanche au lundi à 3 heures du matin, répond Jean-Marie Messier en répétant une nouvelle fois le récit de son départ. Lundi matin quand j’arrive au bureau, Guillaume Hannezo me parle du problème avec les agences de notation et je lui dit que j’ai démissionné et que je ne m’occupe plus des affaires courantes. Pour moi, lundi matin à 3 heures du matin c’est fini. J’ai juste convoqué le conseil d’administration et annoncé que je démissionnais. Quand je vois deux administrateurs (NDLR Edgar Bronfman et Marc Viénot) qui disent à Licoys que le contrat est exactement ce qu’on a négocié, puis le laissent être mis en examen en disant que ce n’était pas une instruction de le signer, c’est scandaleux ! Quelle que soit votre analyse et l’analyse juridique, je n’étais plus président et je n’ai fait aucun acte de président. Je ne veux pas payer pour les conneries, pardons les erreurs des avocats !

-         Pourtant vous en avez plein, lui fait remarquer la présidente en désignant les trois avocats de l’ex-PDG : maîtres Francis Szpiner, Bernard Casanova et Julien Visconti.

-         Il y a une date que je ne peux pas oublier, c’était à New York le 11 septembre 2002, un an après les attentats, poursuit-il. Fourtou me propose un rendez-vous dans un hôtel de New York où il me dit « Jean-Marie, nous allons décider d’aller à l’arbitrage, prépare-toi, prends un avocat ».

-         Vous avez accepté l’arbitrage, vous avez eu raison, il vous a été favorable.

-         Le 3 juillet, il aurait suffit que le conseil d’administration dise « non, on n’approuve pas » et je n’avais rien à faire, j’étais dans la panade. Mais peut-être que nombre d’administrateurs étaient gênés par leur position, le courage et la duplicité ne sont pas équitablement répartis.

-         Etant donné que vous aviez toujours été contre les parachutes dorés, voilà que vous en demandez un de 18 millions d’euros, relance la magistrate.

-         Ce n’était pas un parachute doré, je n’en avais pas, insiste l’ex-PDG.

-         C’est quand même doré, appuie la présidente.

-         Non, un parachute c’est quand on négocie avant, en position de force.

-         Vous ne trouviez pas que c’était un peu beaucoup ? Vous n’ignoriez pas que ça allait faire du bruit. Vous n’étiez quand même pas dans le besoin ?

-         J’ai toujours investi mon argent dans Vivendi, y compris mon bonus de 2001 réinvesti en actions Vivendi le 26 avril 2002. J’étais laissé sans rien, victime d’une campagne de lynchage médiatique difficile à supporter, il me paraissait normal de défendre mes droits. Il y avait un document soumis au conseil d’administration qui pouvait le changer ou pas, il n’existe qu’après la décision du tribunal de New York qui confirme l’arbitrage. Bien sûr que le montant est choquant, il apparaît colossal.

-         Et il n’est pas prévu au contrat de travail.

-         Madame, regardons la réalité. Je suis chassé, je suis humilié, on me propose une transaction qui est pour moi une façon de reconnaître l’honorabilité de ce que j’ai fait pendant huit ans. Que ce chiffre apparaisse énorme, mon père est comptable et je sais que cela représentait plusieurs vies de salaire de mon père. Oui c’est énorme, considérable, je ne vais pas dire le contraire. Mais il y a clairement un préjudice énorme qui m’a été causé. Il eut été normal que le conseil d’administration de Vivendi e décide souverainement. Il s’en est remis à l’arbitrage américain qui a considéré que le contrat était fondé et que pour une société comparable ce n’était pas choquant.

-         Votre contrat vous donnait quand même certains avantages, rappelle la magistrate.

-         On n’est plus dans la fin de contrat, on est dans les dommages et intérêts, intervient maître Spiszner, qui semble ravi de sa trouvaille.

-         Aucun contrat ne peut prévoir de réclamer à l’avance des dommages et intérêts, tempère la présidente. Pourquoi avez-vous accepté un accord avec la SEC ?

-         Premièrement car il n’y avait aucune reconnaissance de culpabilité, seulement une sanction monétaire d’un million de dollar et l’abandon de toutes créances quelle que soit leur nature vis-à-vis de Vivendi. Deuxièmement j’ai posé la question aux avocats de savoir combien me coûterait un procès et on m’a dit que ça allait durer des années à plusieurs millions de dollars par an.

-         Oui mais vos frais vous sont pris en charge.

-         Je n’aurais pas eu les moyens de me défendre seul.

-         Vous avez donc eu une amende civile d’un million de dollars et une restitution d’un million de dollars, avec une restitution aussi de 148 000 $ pour Guillaume Hannezo, ainsi qu’une interdiction d’être administrateur d’une société cotée pendant dix ans.

-         Oui, qui se termine fin 2013, dans deux mois.
Après l’interruption de fin de semaine, prolongée par le jour férié du lundi 11 novembre, la suite de l’examen des accusations d’abus de bien social reprendra mardi 12 novembre, avec notamment l’audition d’Edgar Bronfman, héritier de l’empire canadien Seagram propriétaire des Studios Universal qui a fusionné avec Vivendi.

Source:  Gilles Pouzin

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