mercredi 5 décembre 2012

Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac

Le ministre du budget Jérôme Cahuzac (PS), qui dit vouloir faire de la lutte contre la « fraude
et l’optimisation fiscale » un axe prioritaire de son action gouvernementale, a détenu pendant
de longues années un compte bancaire non déclaré à l’Union des banques suisses (UBS) de
Genève, selon une enquête de Mediapart qui s’appuie sur de nombreux témoignages et des
éléments documentaires probants.
Ce compte a été formellement clos par Jérôme Cahuzac début 2010, quelques jours avant
qu’il ne devienne président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Les
avoirs auraient été ensuite déplacés vers un autre paradis fiscal, en Asie, selon des sources
informées de l’opération.
Chirurgien spécialisé dans les implants capillaires,
Jérôme Cahuzac est ministre du budget du
gouvernement Ayrault depuis le mois de mai dernier,
après avoir été député socialiste et maire de la
commune de Villeneuve-sur-Lot, dans le Lot-etGaronne.
Membre du cabinet du ministre de la santé Claude
Évin, sous le gouvernement de Michel Rocard, entre
1988 et 1991, Jérôme Cahuzac a noué à cette époque
des liens étroits avec l’industrie pharmaceutique.
Aujourd’hui chargé d’appliquer la rigueur budgétaire
dans les ministères, il symbolise quelques-uns des
aspects les plus impopulaires de la politique
économique voulue par le nouveau pouvoir socialiste.
L’existence du compte secret de M. Cahuzac avait été
évoquée dès le mois de juin 2008 par un agent du fisc
du Sud-Ouest, Rémy Garnier, dans un mémoire
adressé à sa hiérarchie, à l’époque où le ministre du
budget était Éric Woerth (UMP). L’agent était alors
poursuivi par son administration pour avoir consulté, via
le serveur interne baptisé Adonis, le dossier fiscal de Jérôme Cahuzac, sans raison
apparente.
Dans son mémoire en défense daté du 11 juin 2008, qui dort actuellement dans les archives
du tribunal administratif de Bordeaux dans un dossier portant le numéro 0 901 621-5,
l’inspecteur du fisc expliquait avoir agi de la sorte après avoir obtenu des informations « de
plusieurs sources extérieures à l’administration fiscale », qui « convergent vers les mêmes
conclusions ». À savoir : « Alors qu’il exerce des activités au cabinet de Claude Évin,
ministre de la santé, (Jérôme Cahuzac) ouvre un compte bancaire à numéro en Suisse »,
écrit l’enquêteur, sans citer le nom de l’établissement concerné.04/12/12 Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac
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L’inspecteur précise toutefois que les « constatations effectuées » sur les déclarations
fiscales de Jérôme Cahuzac, alors député et maire, « ne permettent pas de valider ni
d’infirmer ces renseignements » et réclame, de ce fait, l’ouverture d’un « examen
approfondi de situation fiscale personnelle ». Soit une enquête en bonne et due forme. Sa
requête restera lettre morte, l’administration choisissant au contraire de le sanctionner par un
« avertissement ». La décision a été contestée en 2009 devant le tribunal administratif de
Bordeaux par l’agent Garnier, qui a perdu en première instance ; l’affaire est désormais
pendante devant la cour administrative d’appel.
Contacté, Rémy Garnier – aujourd’hui à la retraite, après d’innombrables démêlés avec son
administration – ne souhaite faire aucun commentaire sur cette affaire. Mais celui que ses
collègues avaient surnommé “Columbo” disait vrai. Selon les éléments recueillis par
Mediapart ces dernières semaines, Jérôme Cahuzac a bien ouvert un compte en Suisse : à
l’UBS de Genève, précisément.
« Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas »
« Je n’ai pas de compte en Suisse et n’en ai jamais eu. Il est clair que si vous publiez ça,
j’attaquerai », a réagi M. Cahuzac, rencontré mardi 4 décembre à son bureau du ministère
du budget. « Je suis un personnage public. Je crois avoir montré que je n’ai pas été en
arrière de la main quand j’étais président de la commission des finances. C’est peu dire
que j’ai mis l’épée dans les reins de l’administration fiscale pour qu’un certain nombre de
dossiers sortent », a-t-il ajouté.
Jérôme Cahuzac est hanté depuis de nombreuses années par la révélation de ce compte et
des avoirs occultes qu’il a pu abriter. Politiquement, l’affaire est explosive.
À la fin de l’année 2000, alors qu’il s’engageait dans la bataille municipale pour conquérir la
commune de Villeneuve-sur-Lot, le député Cahuzac s’est ainsi inquiété de l’existence de ce
compte lors d'une conversation – dont il existe une trace – avec un chargé d’affaires,
affirmant notamment, d’après les éléments recueillis par Mediapart : « Ce qui m'embête,
c'est que j'ai toujours un compte ouvert à l'UBS. Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert
là-bas, UBS, c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques. » L’élu se
disait à cette époque embarrassé à l’idée de devoir se rendre personnellement à Genève
pour faire les diligences nécessaires afin de le fermer.04/12/12 Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac

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Jérôme Cahuzac © Reuters

Le compte à l’UBS sera formellement clos début 2010, à l’occasion d’un discret
déplacement à Genève, quelques jours avant qu’il ne soit élu, le 24 février 2010, président de
la commission des finances de l’Assemblée nationale. En privé, Jérôme Cahuzac affirme
alors avoir « fait ce qu’il fallait » pour nettoyer ses secrets helvètes. À la question que nous lui
avons posée, de savoir s'il était bien allé à Genève début 2010, le ministre a éludé,
affirmant : « Pas davantage qu'à Turin, Milan ou NewYork. » Sans en dire plus.
Les avoirs cachés auraient été alors transférés à l’UBS de Singapour par le truchement d’un
complexe montage financier offshore, selon des sources informées du dossier.
Quelle était l’origine des fonds du compte suisse et à quoi ont-ils pu servir ? Dans son
mémoire de 2008, l’inspecteur Garnier affirmait tenir peut-être une piste. Selon lui, Jérôme
Cahuzac avait « acquis son appartement parisien situé avenue de Breteuil pour le prix de
six millions et demi de francs, financé comptant, en début de carrière, à hauteur de quatre
millions dont l’origine reste douteuse ». M. Cahuzac a toujours affirmé, y compris dans la
presse locale (La Gazette de la Vallée du Lot, par exemple), avoir financé cet appartement
aux deux tiers grâce à un prêt bancaire. Ce qui est faux.

Une fois encore, l’agent du fisc disait juste. D’après l’acte notarié d’achat de l’appartement
(deux salons, une salle à manger, quatre chambres…), daté du 28 octobre 1994, Jérôme
Cahuzac a bien versé quatre millions de francs – 600 000 euros – « de ses deniers
personnels », un tiers seulement du financement étant assuré par un prêt bancaire. Rien ne
permet aujourd’hui de dire si l’argent provient du compte suisse, mais la question semble
avoir effleuré l’esprit de l'inspecteur du fisc à qui il n’a pas été possible de vérifier ses
soupçons en 2008.

« Éric Woerth, que j’ai interrogé (après les questions de Mediapart - ndlr), m’a dit, lui, les
yeux dans les yeux n’avoir jamais eu le moindre document me concernant et qu’à défaut il
aurait évidemment laissé se dérouler la procédure », affirme aujourd’hui Jérôme Cahuzac.
Ironie de l’histoire, le ministre socialiste annonçait début novembre dans les colonnes du
quotidien Libération vouloir renforcer l’arsenal français de lutte contre la fraude fiscale. « Ces
mesures, expliquait-il, n'ont rien à voir avec une quelconque inquisition fiscale, il s'agit04/12/12 Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac
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seulement d'un minimum de transparence de bon aloi. » Double ironie de l’histoire, le
ministère du budget est actuellement partie civile dans l’instruction d’un juge parisien,
Guillaume Daieff, qui enquête depuis le mois d’avril dernier sur les pratiques d’évasion
fiscale de contribuables français, clients de… l’UBS.
La boîte noire : Mediapart, qui poursuit ici son travail de révélation d’informations d’intérêt
public, a envoyé en bonne et due forme au ministre du budget et à son attachée de presse
une liste de questions par mail, lundi 3 décembre, vers 16 heures (les questions sont à lire
sous l'onglet “Prolonger” de cet article). Dès lors, M. Cahuzac a inondé de textos… un autre
journaliste de Mediapart, Laurent Mauduit. L’un de ses SMS faisait mention d’un coup de
téléphone que M. Cahuzac affirme avoir passé à son prédécesseur Éric Woerth: « Je suis
atterré. Je viens d’avoir Woerth qui m’assure n’avoir jamais été informé de quoi que ce soit
me concernant », écrit-il.

Stéphane Fouks, président de l’agence de communication Havas Worldwide (anciennement
Euro RCSG), qui n'est pourtant pas sous contrat avec le ministère du budget, a également
pris contact avec Laurent Mauduit, puis avec l’auteur de l’enquête. Mediapart a finalement pu
rencontrer le ministre du budget, mardi 4 décembre en fin de matinée, à son bureau au
ministère du budget. L’entretien a été enregistré.
URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/041212/le-compte-suisse-du-ministre-du-budget-jerom

Source: 04 décembre 2012 | Par Fabrice Arfi - Mediapart.fr

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