vendredi 22 juin 2012

"M. Kerviel a transformé la Société générale en banque casino"

Appelé à témoigner au procès en appel de l'ancien trader, l'ex-patron de la SocGen Daniel Bouton a balayé la théorie du complot.



Jérôme Kerviel et Daniel Bouton, l'ex-trader et l'ex-P-DG de la Société générale, étaient face à face au tribunal le 21 juin. © Martin Bureau / AFP

Il est attendu. Très attendu. Daniel Bouton, l'ancien P-DG de la Société générale, fait son entrée à 17 heures dans la salle d'audience où est jugé son ancien employé. La démarche sûre, habillé d'un costume gris rayé, boutonné de la Légion d'honneur, l'homme s'avance vers la barre. Il est à deux pas de Jérôme Kerviel. Mais les deux hommes n'échangent aucun regard. À la main, l'ancien patron tient une sacoche. À l'intérieur, des documents sur "l'affaire" et deux livres sur la crise des subprimes. L'homme a préparé son intervention.

À l'aise, celui qui a été poussé à la démission en 2009 après avoir dirigé la Société générale durant onze ans reste encore aujourd'hui le meilleur défenseur de la banque. Devenu consultant indépendant dans le domaine financier, l'ancien P-DG raconte son "19 janvier", le jour "où le ciel lui tombe sur la tête". Dans son bureau du 35e étage de la tour de la SG à La Défense, Daniel Bouton prépare une réunion importante liée à la crise financière. Il a convoqué un conseil d'administration. Un état des comptes est demandé et ses équipes sont sur les rangs. "On m'informe alors qu'il y a un problème", raconte, les bras croisés, Daniel Bouton. "Il est possible qu'il y ait un faux dans les comptes", lui dit-on.

"Jérôme Kerviel est un dissimulateur épouvantable"

"Comprenez bien, Mme la Présidente, que notre métier repose sur la confiance. Il n'y a pas pire que la situation où un établissement fait face à une écriture fallacieuse. Le monde s'écroule, un peu." Et de poursuivre, la voix claire mais teintée d'émotion : "J'apprends que Jérôme Kerviel a construit une position longue de 50 milliards d'euros. La vie de dizaines de personnes, dont la mienne en particulier, mais ça, ce n'est pas grave, va basculer." "On sait alors que Jérôme Kerviel est un dissimulateur épouvantable."

"Comment expliquez-vous ce qui a pu se passer ?" l'interroge, impatiente, la présidente Mireille Filippini en relisant méthodiquement les conclusions - accablantes - de la commission bancaire qui a pointé de nombreux dysfonctionnements dans le système de contrôle interne de la Société générale.

"À la tête de la Société générale, j'ai approuvé le principe de construction de petites équipes de traders qui devaient prendre de petites positions. Cela permettait de dérisquer sensiblement le risque opérationnel. Mais tout ça ne protège pas contre ce risque-là", argue-t-il en se tournant vers Jérôme Kerviel. "Quand l'homme avec qui vous travaillez, en qui vous avez confiance, qui répond à vos questions, mais qui en réalité vous enfume complètement (sourire de Kerviel), il faut alors avoir une autre organisation pour s'en apercevoir, et nous ne l'avions pas. Il nous manquait deux choses : une centralisation par nom du trader, si on l'avait eue, on aurait vu le nombre anormal d'annulations passées. Il nous manquait probablement aussi une cellule anti-fraude."

"Terroriste"

S'avance alors l'un des trois avocats de la banque, Me François Martineau : "Un témoin affirmait ce matin qu'il valait mieux que la Société générale avoue ses pertes de rogue trader (trader fou, NDLR) que ses pertes liées aux subprimes..."

"Ça, c'est n'importe quoi. Les bras m'en sont tombés quand j'ai lu la théorie du complot", explique en joignant le geste à la parole Daniel Bouton. "C'est du même niveau que lorsqu'on nous dit pour le 11 Septembre que les images de l'avion qui rentre dans les tours sont fausses. S'il y avait complot, il faudrait admettre que c'est moi qui recevais, la nuit, M. Kerviel en vêtement invisible pour lui donner les consignes", assène Bouton.

"Comment expliquez-vous cette défense ?" lui demande Me Reinhardt, l'un des avocats de la banque.

"Il s'est enfermé dans un système où il ne peut pas se dire la vérité à lui-même, tel un Shadok qui s'enfonce dans sa conviction d'accroître son bonus." "C'est bon, c'est bon", murmure dans son coin l'ancien trader, excédé par les propos qu'il vient d'entendre.

"La vérité ne peut venir, le moment venu, que de la bouche de Jérôme Kerviel", ajoute Daniel Bouton.

"Regrettez-vous aujourd'hui le terme de terroriste dont vous aviez qualifié Jérôme Kerviel en première instance ?" lui demande Me Frédéric Karel Canoy, qui représente les petits actionnaires.

"Le montant de 50 milliards est un montant létal et échappe à la raison. (...) Nous pensions à l'époque qu'il y avait peut-être d'autres Kerviel dans d'autres banques et qu'il s'agissait d'un acte terroriste. J'aurais peut-être pu m'abstenir. Ce type de position n'était le fait que d'un voleur", admet l'ancien P-DG. "M. Kerviel a transformé la Société générale en banque casino, ajoute-t-il. Notre métier n'est pas de prendre des positions directionnelles. Le métier dans une salle de marché, ce sont des gens qui arrivent à gagner des sommes petit à petit", explique l'ancien patron, impatient d'en découdre avec Me David Koubbi, l'avocat de Jérôme Kerviel, qui attend son tour...

Incroyable

Muni d'une canne, pour cause de mal de dos, celui-ci attaque bille en tête. "Avant la mise en route de la communication de la Société générale, toute la place disait qu'un seul opérateur aurait floué la banque. Personne n'y croyait. A-t-il été nécessaire d'envoyer un autre signal pour retourner l'opinion publique et journalistique ? Comment avez-vous fait pour renverser la vapeur ?"

Piqué au vif, Daniel Bouton répond non sans ironie : "Je ne suis pas fort en procédure pénale, mais je voudrais qu'il soit noté qu'un grand avocat parisien vient de reconnaître que ce qu'a fait son client est totalement incroyable pour toute la place. Je vous félicite de votre franchise." Les rangs de la SocGen jubilent. La salle rit. Daniel Bouton, sacrifié dans cette affaire, reste décidément le meilleur avocat de la Société générale.



Source: Le point, JAMILA ARIDJ

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