Jérôme Kerviel le matin, Jean-Marie Messier et ses co-prévenus l'après-midi, ou l'inverse: pendant un mois, jusqu'au vendredi 25 juin, la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris a jugé deux affaires financières emblématiques de la dernière décennie. Challenges.fr a joué au jeu des sept ressemblances... et différences.
Deux destins qui se croisent... Ces procès ont mis en relief, pendant un mois, deux prévenus au parcours très différents (un produit des écoles de l'élite -Polytechnique, Ena- contre le "modeste" titulaire d'un DESS de finances) et deux "rescapés" différents (Jean-Marie Messier est revenu en grâce dans le milieu des affaires avec sa société de conseil, alors que Jérôme Kerviel est consultant informatique à 2.300 euros par mois).
... pour mieux diverger ? Si les deux hommes se retrouvent face à la même peine théorique (cinq ans de prison, 375.000 euros d'amende), leurs destins pourraient de nouveau diverger: une relaxe totale de Jérôme Kerviel apparaîtrait comme une surprise, tout comme une condamnation de Jean-Marie Messier. Témoin, la position du parquet dans les deux affaires. Le ministère public avait demandé un non-lieu général dans le dossier Messier -mais n'avait pas été suivi par le juge d'Huy-, quand il avait fait appel du placement sous contrôle judiciaire de Jérôme Kerviel, et obtenu sa détention provisoire pendant 38 jours. Il avait également tenté, cette fois en vain, de charger le trader des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance aggravé.
Le bal des avocats. Contrairement aux journalistes, qui le plus souvent ne suivaient qu'un des deux procès, deux avocats ont fait des journées doubles: Me Jean Veil, avocat de l'ex-directeur financier de Vivendi Guillaume Hannezo et de la Société Générale, et Me Frédéric-Karel Canoy, défenseur de petits porteurs dans les deux dossiers. A leurs côtés, de nombreux ténors du barreau: Me Haïk et Kiejman dans le dossier Messier, Me Metzner pour la défense de Jérôme Kerviel. D'ailleurs, ce dernier devait initialement défendre aussi Jean-Marie Messier.
Des petits porteurs floués. Ces procès étaient aussi ceux de deux bulles: celle des valeurs médias et high-tech, au tournant des années 2000, et celle des valeurs financières, à la fin de la décennie. Les bancs des parties civiles étaient donc occupés par des petits porteurs, mais dont la situation n'est pas la même: ceux de Vivendi ont vu leurs actions passer de 140 euros en mars 2000 à 18 en juillet 2002, et peuvent blâmer la stratégie menée par la direction dans un contexte compliqué ; ceux de la Société Générale ont vu les leurs baisser de 70 euros la veille de la fraude à 35 aujourd'hui, mais l'affaire Kerviel est très loin d'être la seule explication, la banque ayant essuyé de fortes pertes sur les subprimes.
Témoins : une vedette et des absences. Le procès Messier a donné le curieux (et un peu ennuyeux) spectacle d'audiences à zéro témoin: aucun salarié de Vivendi ni aucun administrateur n'a été convoqué, alors que le CA de l'époque rassemblait de nombreux pontes du CAC 40 (Bernard Arnault, Marc Viénot, Henri Lachmann, Serge Tchuruk...), critiqués pour leur action. De ce point de vue, malgré la défection de plusieurs témoins, le procès Kerviel a été plus satisfaisant, avec même l'audience "symbolique" de Daniel Bouton.
Médias : la cohue et la discrétion. D'un côté, un procès qui a rassemblé tous les médias généralistes, a été Twitté en direct et largement développé par les chaînes d'info continues; de l'autre, des audiences feutrées essentiellement suivies par la presse financière. Un fossé imputable notamment à l'ancienneté des faits reprochés à Jean-Marie Messier, et au mystère entourant le personnage Jérôme Kerviel aux yeux du grand public.
Une plongée dans le monde de la finance, son langage, son contrôle... Les audiences ont donné l'occasion au tribunal de se plonger dans le monde surchauffé des salles de marché, avec son langage (spiel,futures, forwards pour Kerviel, buyback ou closing pour Messier) et surtout son ambiance. Dans les deux procès, on a ainsi entendu des cadres minimiser leur propos passés en arguant des exagérations propres au milieu. "Je prends tout à la rigolade", a expliqué Moussa Bakir, un ancien collègue de Kerviel à qui ce dernier avait parlé de "vacances en taule". Philippe Guez, un banquier de la Deutsche Bank accusé de manipulation de cours au profit de Vivendi, a lui justifié par une volonté de "dramatiser" son "Je veux pas aller en prison, ils font n'importe quoi". La question du contrôle des pratiques financières ("Comment en est-on arrivé là ?") a aussi été sans cesse posée dans les deux procès, dont une bonne partie aura été consacrée aux alertes et à la surveillance. Dans le cas de Jérôme Kerviel, de nombreux mails ont été parcourus faisant état de dépassements des limites de risques. Le procès Messier aura lui beaucoup polémiqué sur le "livre d'alertes" constitué par le directeur financier Guillaume Hannezo au moment de la démission du P-DG. Un recueil où il disait avoir "l'impression désagréable d'être dans une voiture dont le conducteur accélère dans les tournants".
par la rédaction de Challenges.fr, vendredi 25 juin 2010.
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