jeudi 21 janvier 2010

Les don Quichotte de la cote

Le procès français de Vivendi en sera une nouvelle illustration : les petits actionnaires n'hésitent plus à monter au créneau contre les grands groupes. Jusque dans les prétoires, comme trois de ces épargnants-justiciers. Portraits.
Ce jeudi 21 janvier, Armel Lacaule n'est pas venu tailler le bout de gras avec les autres petits actionnaires, dans le local que la Société générale met à leur disposition, au sous-sol de son siège social, boulevard Haussmann, à Paris. Mais cet ancien cheminot de 62 ans a consigné, en rouge, sur son calepin, les dates que la 11e chambre correctionnelle de Paris devait fixer, ce jour-là, pour le procès de Vivendi et de son ex-PDG, Jean-Marie Messier, soupçonnés d'avoir diffusé des "informations fausses et trompeuses". Lacaule est, avec d'autres, à l'origine de la plainte contre l'ancien patron du groupe de médias, déposée au pénal par Me Frédérik-Karel Canoy en... 2002. Sept ans plus tard, le 22 octobre dernier, les plaignants, pour la plupart actionnaires individuels, ont appris la bonne nouvelle : le renvoi en correctionnelle de cinq anciens dirigeants de Vivendi, dont "J2M". Tous risquent non seulement de fortes amendes, mais aussi selon les textes - plusieurs années de prison ferme. Seuls ou à travers des associations, les actionnaires minoritaires sont de plus en plus nombreux dans les prétoires. Pourtant, les procédures collectives à l'américaine (class actions), telles que celle en cours aux Etats-Unis contre Vivendi, ne sont pas autorisées en France, au grand dam de Colette Neuville, présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires. Depuis qu'un tribunal a accordé, en 2006, à 700 actionnaires constitués parties civiles contre le plasturgiste Sidel, une indemnisation de 10 euros par action pour réparation du préjudice subi par la divulgation de fausses informations, certains investisseurs individuels se sont transformés en véritables justiciers. D'Alcatel à EADS, en passant par la Société générale ou France Télécom, une poignée de petits actionnaires français sont à l'origine d'une multitude de procédures contre les vedettes du CAC 40.
Armel Lacaule un retraité défie Vivendi

"Chez moi, si vous ne marchez pas droit, on vous met dans l'océan", martèle Armel Lacaule. D'un naturel plutôt introverti, ce Gascon n'est pas mécontent de voir "l'ex-maître du monde" comparaître devant le tribunal. "Jean-Marie Messier était visionnaire, mais il a aussi beaucoup trompé ses actionnaires", s'agace ce fils d'agriculteur qui investit en Bourse depuis une quinzaine d'années. Comme plusieurs centaines d'épargnants parties civiles au procès, il espère obtenir réparation et faire la leçon à certains dirigeants, "que l'on ferait mieux de payer moins cher au regard de leurs piètres résultats". Ce retraité à l'accent du Sud-Ouest et à la voix suave n'est pas un contestataire professionnel. Tant s'en faut. Mais il apprécie la rectitude et considère l'investissement individuel comme un acte citoyen suceptible de consolider le capital des entreprises françaises. Dès lors, face à des "informations trompeuses", Armel Lacaule voit rouge.Le 16 avril 2001, il avait déjà adressé au procureur de la République du Havre une lettre accusatoire contre les dirigeants de Sidel, pris, à ses yeux, en flagrant délit de malhonnêteté. En parcourant le site de la Commission des opérations de Bourse (COB), il avait découvert que plusieurs responsables avaient cédé des paquets d'actions, tandis qu'ils continuaient à promettre monts et merveilles au marché. "Je n'avais pas d'arrière-pensée procédurière, mais j'avais besoin de lâcher mon venin", assure-t-il. Cinq ans plus tard, le bonhomme a finalement obtenu réparation. Une première en France : jamais, jusque-là, un tribunal n'avait donné raison à des actionnaires lésés par des informations trompeuses et reconnu un tel préjudice
Xavier Kemlin un héritier contre Carrefour

"Né, de son propre aveu, dans un berceau doré", l'arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard - le fondateur de Casino - ne s'était pas imaginé en redresseur de torts. "A l'origine, en 2006, il y a une banale contestation de prix", raconte Xavier Kemlin. Actionnaire minoritaire d'Hyparlo, un franchisé de Carrefour, il dénonce le montant offert par le grand distributeur pour prendre le contrôle de cette société. Kemlin a touché 12 millions d'euros, mais estime qu'il aurait dû en percevoir 30. Surtout, il évalue le préjudice total pour l'ensemble des petits porteurs, y compris les salariés actionnaires d'Hyparlo, à 300 millions. Il dépose alors, devant la cour d'appel de Paris, un recours contre l'Autorité des marchés financiers (ex-COB) pour avoir accepté la garantie de cours proposée par Carrefour. "Si je ne l'avais pas fait, qui d'autre ?" lance cet homme fortuné et doté d'un solide carnet d'adresses. En quatre ans, l'affaire, qui lui a déjà coûté 300 000 euros, s'est muée en un imbroglio judiciaire - près d'une vingtaine de procédures - que seuls Kemlin et son avocat parviennent encore à suivre. D'un tribunal l'autre, l'accusateur a été débouté, quand il ne s'est pas retrouvé en position d'accusé."Je ne lâcherai pas", assure pourtant cet amateur de chasse replié en Suisse depuis douze ans. A la suite de sa plainte au pénal, en décembre 2007, deux juges d'instruction ont été nommés en septembre dernier. "Carrefour, comme les autres, doit respecter la loi", martèle Kemlin. Petit actionnaire du géant de la distribution, il ne se prive jamais d'intervenir lors de l'assemblée générale annuelle. Que ce soit pour dénoncer le parachute doré de l'ex-président José Luis Duran... ou rappeler le contentieux Hyparlo au bon souvenir des dirigeants actuels.
Jean-Marie Kuhn le contradicteur d'Albert frère

Cela ressemble à une mauvaise histoire belge. Un petit entrepreneur lorrain se fait "rouler dans la farine" par plus gros et plus malin que lui, en l'occurrence le groupe GIB, leader de la distribution outre-Quiévrain dans les années 1990, et dont l'un des actionnaires n'est autre que le milliardaire Albert Frère. Fils de comptable, Jean-Marie Kuhn ne badine pas avec les chiffres. Quand il voit, en 2006, que GIB cède Quick à la Caisse des dépôts, bras armé de l'Etat français, pour quelque 800 millions d'euros, soit près de trois fois son chiffre d'affaires annoncé deux ans plus tôt, son sang ne fait qu'un tour. Cette opération lui rappelle son contentieux avec le même vendeur (GIB) à propos d'une société qu'il lui avait rachetée en 1995. "Cette fois encore, les bilans semblaient donner une vision optimiste pour justifier le prix requis", avance-t-il. Fort de cette découverte, il devient actionnaire des entreprises dans lesquelles agit Frère (GDF-Suez, Suez Environnement...), alerte Bercy, multiplie les courriers officiels, à la Cour des comptes, à l'Elysée, et finit par déposer plainte au pénal, en 2008, contre le groupe Albert Frère. Non sans amateurisme : le 18 juin 2009, sa plainte est déclarée irrecevable. Pas découragé, il se retourne vers la justice belge dès le 24 juillet 2009 avec une plainte contre X. Non seulement celle-ci est acceptée, mais encore, en décembre dernier, le procureur du Roi de Charleroi se joint à l'instruction et ajoute deux nouveaux chefs d'accusation. De quoi renforcer la détermination de Kuhn. "J'agis comme victime, citoyen et contribuable", assure cet autodidacte, un brin crâne, satisfait d'être enfin reconnu dans son combat.

Par Libie Cousteau, Valérie Lion, publié le 20/01/2010 à 18:01 - mis à jour le 20/01/2010 à 18:08

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