"Le jugement dans l’« affaire EADS » a été mis en délibéré, lundi 11 mai en fin de journée, au 18 mai. Mais son issue ne fait – sauf surprise de dernière minute – guère de doute. Le tribunal correctionnel de Paris devrait mettre un terme à ce dossier de soupçons de délits d’initiés, l’un des plus emblématiques de la dernière décennie en matière boursière.
« Il n’y a vraiment pas de débat concernant les personnes physiques », a indiqué, dès les premières minutes de l’audience, la juge Bénédicte de Perthuis.
[...]
Jeudi 7 mai, le parquet national financier (PNF) avait toutefois annoncé qu’il allait requérir l’extinction des poursuites contre l’ensemble des prévenus. C’est ce qu’a fait, lundi, le procureur financier Eliane Houlette.
En l’absence de réquisition du parquet pour une continuation des poursuites, le tribunal correctionnel de Paris, chargé du dossier, devrait donc constater l’extinction de l’action publique.
Sur le banc des accusés figuraient l’ancien coprésident d’EADS, Noël Forgeard, l’ancien numéro deux d’EADS, Jean-Paul Gut, et le directeur financier de l’époque, Andreas Sperl.
On y trouvait également l’actuel directeur commercial d’Airbus, John Leahy, l’ancien directeur des ressources humaines, Erik Pillet, ainsi qu’Alain Flourens et Olivier Andriès.
MM. Leahy, Flourens et Sperl travaillent toujours pour Airbus Group, le nouveau nom adopté par EADS.
Débat sur l’opportunité de poursuivre Lagardère et Daimler
Entre continuation de l’action et extinction, il y a toutefois eu débat au sein du PNF. Les magistrats du parquet financier étaient en effet partagés sur l’opportunité de réclamer au tribunal le maintien des poursuites contre les personnes morales, Lagardère et Daimler.
Certains magistrats considéraient que, dans leur cas, les faits poursuivis au pénal n’étaient pas tout à fait les mêmes que ceux examinés par l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui avait déjà jugé et blanchi l’ensemble des prévenus, en 2009.
L’AMF avait alors mis les deux actionnaires hors de cause concernant les informations liées à l’A350, mais avait choisi de ne pas les poursuivre concernant celles liées à l’A380. Un « trou dans la raquette », selon l’expression de plusieurs observateurs, qui incitait certains magistrats, au sein du PNF, à vouloir continuer les poursuites.
Au final, c’est la patronne du parquet financier, Eliane Houlette, qui a tranché. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle a défendu, en personne à l’audience lundi, la position du ministère public, alors que ce sont Ulrika Weiss et Patrice Amar, ses adjoints, qui étaient présents lors de la première audience EADS, le 3 octobre 2014.
Pas « en soi, un fait répréhensible »
« Pour le PNF, continuer à poursuivre aurait eu un côté mauvais perdant. Sur le fond, c’était un très mauvais dossier pour le PNF : ils n’ont aucune preuve que Daimler et Lagardère aient eu connaissance de l’information privilégiée », selon un proche du dossier.
« Aller au-delà [de l’audience de lundi], cela aurait été de l’acharnement. Le PNF ne voulait pas prendre le risque de perdre son premier dossier boursier emblématique », ajoute un autre.
Dans ses conclusions, Mme Houlette constate que les griefs notifiés par le président de l’AMF aux personnes physiques sont « strictement identiques » aux faits pour lesquelles elles ont été renvoyées devant le tribunal.
Ce n’est pas le cas pour les personnes morales, puisque « l’utilisation de l’information privilégiée relative aux difficultés de la production de l’A380 n’avait en effet pas été retenue par le collège de l’AMF à l’encontre de Lagardère et Daimler », souligne la magistrate.
Mais, pour elle, cet élément n’est pas de nature à remettre en cause la logique du Conseil constitutionnel. « L’information privilégiée n’est qu’un élément de contexte qui permet la commission de l’infraction », mais n’est pas « en soi, un fait répréhensible » et « seule l’utilisation en connaissance de cause de ces informations pour la réalisation d’une même opération poursuivie à la fois par l’AMF et le juge pénal doit être examinée », fait-elle valoir.
Elle ajoute que l’AMF a clairement considéré que l’information relative aux retards de livraison de l’A380 n’avait pas les caractères d’une information privilégiée.
Pas de doubles poursuites
« Il est rare que l’avocat d’un prévenu remercie le tribunal », a fait remarquer Jean Veil, avocat de Lagardère. Pour la dizaine de petits actionnaires, qui s étaient portés partie civile dans cette affaire, en plus de la Caisse des dépôts (CDC) et de l’association des petits porteurs, c’est une seconde déception après la décision de l’AMF, en 2009.
« Pour les actionnaires qui ont perdu près de 30 % de la valeur de leurs actions [le cours de l’action EADS avaient chuté de 25 % le 14 juin 2006], il serait bon de réexaminer les pièces du dossier », a fait valoir Me Frederik-Karel Canoy, avocat de l’un des petits actionnaires qui se sont portés partie civile. « Il y a eu des ventes [d’actions de la part des prévenus] avant l’annonce des retards de production [des avions], est-ce le fait du
hasard ? »
hasard ? »
Le procès EADS s’était arrêté net avant même de démarrer, le 3 octobre 2014. Lors de cette première audience, en effet, les avocats des prévenus avaient posé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) afin de savoir si une procédure consistant à poursuivre une seconde fois les mêmes personnes pour des faits identiques était valable (en référence à la décision de l’AMF de 2009).
La réponse s’était révélée négative, le 18 mars, allant dans le sens d’une décision précédente de la Cour européenne des droits de l’homme.
Au-delà du dossier EADS, la décision du Conseil constitutionnel de ne plus permettre de double poursuite devrait concerner une dizaine d’affaires actuellement devant le tribunal, mais aussi treize dossiers en cours de traitement au sein du PNF, selon ce dernier, qui travaille au total actuellement sur une soixantaine de dossiers boursiers."
Article écrit par la journaliste Audrey Tonnelier, publié sur Le Monde.fr le 11.05.2015 à 11h55, disponible dans son intégralité sur le lien suivant :