Jamais la Bourse n'aurait imaginé se transformer en un tel théâtre. Du 23 au 27 novembre, les 17 dirigeants et ex-dirigeants d'EADS mis en cause dans l'affaire de délits d'initiés d'EADS se succèdent dans l'ex-bâtiment symbole de la transparence des marchés financiers, où l'Autorité des marchés financiers (AMF) a loué une salle. Au-delà du symbole (qui ne doit qu'à la proximité du siège de l'AMF et au nombre d'avocats), cette semaine redonne du tonus à l'affaire la plus importante jamais jugée par l'AMF, et dont on pouvait craindre l'été dernier qu'elle ne sombre dans les méandres de la procédure. Et comme un fort opportun changement de la gouvernance de l'Autorité s'était produit simultanément, cela pouvait lui donner l'occasion de se déjuger sans trop de blessures d'amour-propre...
Et pourtant, ils sont là, convoqués cette semaine au palais Brongniart, les Noël Forgeard et Tom Enders - l'ancien et l'actuel patron d'Airbus -, et quinze autres dirigeants ou ex-figures d'EADS. Comme Jean-Marie Messier est là, au tribunal de New York, déposant depuis le 20 novembre, rattrapé par une class action des actionnaires de Vivendi, poursuivant l'entreprise et son expatron. J2M qui sera encore là, en 2010, devant une juridiction française, renvoyé le 16 octobre en correctionnelle par le juge Jean-Marie d'Huy. Comme Antoine Zacharias, l'ancien patron de Vinci, lui aussi cité à comparaître par le parquet... La justice est lente, mais personne ne pourra dire que les PDG sont épargnés.
Class action contre Jean-Marie Messier (Vivendi) - Délits reprochés : diffusions d'informations trompeuses et manipulations de cours.
- Peine encourue (aux Etats-Unis) : amende de plusieurs milliards de dollars, solidairement avec Vivendi.
- «J'attendais ce moment depuis sept ans», déclarait Jean-Marie Messier, l'ancien PDG de Vivendi, avant d'entrer dans la salle du tribunal fédéral de New York pour son audition au procès le 20 novembre, après une plainte collective de petits porteurs. Ils lui reprochent d'avoir dissimulé la situation de l'entreprise et «orchestré une perte de 100 milliards de dollars». Le patron français s'en est évidemment défendu avec force : «C'est un outrage, ce sont des mensonges infâmes. Je n'ai jamais commis de faute. Jamais, jamais, jamais !» Déposée en 2002, la plainte porte principalement sur la communication financière de Vivendi entre 2000 et 2002. L'ancien patron du groupe se voit accusé en particulier d'avoir caché les problèmes de trésorerie rencontrés fin 2001, puis mi-2002. Dans un communiqué du 19 décembre 2001, Jean-Marie Messier avait annoncé que le groupe serait net de dettes. Mais début 2002, le groupe affichait toujours un endettement de 27 milliards d'euros. Dans leur plainte, les avocats de l'accusation ne manquent pas, en outre, de mettre en exergue les déclarations de son successeur, Jean-René Fourtou, qui avait estimé que Vivendi aurait fait faillite dans les dix jours si Messier était resté à sa tête.
Si l'ensemble des griefs étaient retenus par les douze membres du tribunal populaire de New York, après un procès qui devrait s'achever d'ici à la fin de l'année, le groupe Vivendi et Messier, qui font cause commune dans cette procédure, pourraient écoper d'une amende de plusieurs milliards de dollars. «Et alors le procès de New York devien[drait] un problème Vivendi, car Messier n'étant pas solvable, il ne [pourrait] pas payer», souligne Olivier Metzner, son avocat français.
Après New York, le patron démissionné de Vivendi fin juin 2002 sait désormais qu'il devra repasser devant la justice française. Alors que le parquet avait requis un non-lieu en janvier dernier, le juge Jean-Marie d'Huy l'a renvoyé en correctionnelle pour «diffusion d'informations fausses ou trompeuses, manipulation de cours et abus de biens sociaux». Autrement dit, des griefs assez proches des arguments avancés par les plaignants américains.
Seule différence notable sur les conséquence de la plainte : en France, Messier, qui a déjà réglé une amende de 500 000 euros à l'AMF, ne peut pas compter sur Vivendi, présent comme partie civile, pour éponger les éventuels dommages et intérêts qu'il pourrait être condamné à verser.
AMF contre Noël Forgeard (EADS),
Appac contre X- Délits reprochés : manquement et délits d'initié.
- Peines encourues : amende de 5,45 millions d'euros (AMF); deux ans d'emprisonnement et amende de 1,5 million (pénal).
- De tous les dirigeants d'EADS qui passent depuis le 23 novembre devant la commission des sanctions de l'AMF, son ex-coprésident est le plus exposé. Noël Forgeard est devenu bien malgré lui un symbole. Le 28 juillet, le rapporteur de la commission des sanctions, Antoine Courteault, s'il a mis hors de cause une dizaine de dirigeants et les deux actionnaires de référence, Daimler et Lagardère, a eu la main lourde à son endroit, et a requis la plus forte amende : 5,45 millions d'euros pour Forgeard. Enorme ? C'est encore loin du plafond théorique des amendes, qui peuvent atteindre dix fois le profit réalisé. Noël Forgeard ayant réalisé une plus-value de 3,7 millions d'euros en vendant 293 000 stock-options les 9 et 15 mars 2006, il est théoriquement passible d'une amende pouvant atteindre... 37 millions d'euros.
Si la commission des sanctions reste libre de sanctionner tout le monde, y compris les cadres blanchis par le rapporteur, les défenseurs de Noël Forgeard craignent le syndrome du bouc émissaire. Les représentants des actionnaires aussi, pour d'autres raisons : «Condamner Forgeard seul n'aurait pas de sens, prévient Frédéric-Karel Canoy, l'avocat à l'origine de la première plainte des actionnaires minoritaires dans l'affaire EADS. On ne peut pas découper les responsabilités en pointillé, en faisant sortir les actionnaires.»
L'ancien coprésident d'EADS a toutefois plusieurs cordes à son arc. Notamment un PV de la déposition d'un associé du cabinet McKinsey, Christophe Bédier, daté de février 2007, que Challenges a pu consulter. Ce consultant, chargé d'expertiser les méthodes de câblage électrique à l'usine de Hambourg, y affirmait qu'en mars 2006, date de la deuxième vague d'exercice des stock-options par les cadres mis en cause, «personne chez Airbus [...] n'avait mesuré réellement la profondeur et l'ampleur du problème et ne pouvait anticiper les conséquences sur le planning» de livraison de l'A 380. Explosif : c'est presque mot pour mot le discours de la défense depuis trois ans...
L'enquête pénale, elle, poursuit son cours parallèlement à la procédure de l'AMF. L'instruction est désormais entre les mains du juge Serge Tournaire, qui vient de succéder à Xavière Simeoni. L'article L 465-1 du Code monétaire et financier prévoit deux ans de prison et une amende de 1,5 million d'euros pour le délit d'initié, montant pouvant être porté à dix fois le profit réalisé. Dans les faits, c'est moins rude : «Il y a très peu de condamnations, assure l'avocat Frédéric-Karel Canoy. Au mieux, les dirigeants écopent de sursis, mais la plupart sortent blanchis.» Avec cette fois une petite différence : le juge Tournaire, habitué à traiter des affaires de grand banditisme, n'a pas tourné jusqu'à présent avec le même logiciel.
Michel Tiphineau contre Antoine Zacharias (Vinci) - Délit reproché : abus de biens sociaux.
- Peines encourues : cinq ans d'emprisonnement ferme et 375 000 euros d'amende (selon les textes).
- La date du procès n'est pas encore fixée. Mais Antoine Zacharias, ex-PDG de Vinci, cité à comparaître par le parquet pour «abus de biens sociaux en 2004, 2005 et 2006», va devoir quitter sa résidence genevoise pour se rendre au tribunal correctionnel. Certes, la procédure décidée par Philippe Courroye, procureur de la République à Nanterre, à la suite d'une plainte d'un petit porteur, paraît exceptionnelle puisqu'elle s'affranchit d'une instruction. Mais l'affaire Zacharias reste elle même hors du commun. Contraint à la démission le 1er juin 2006, «Zach» garde l'image de la cupidité parmi les patrons français. Payé plus de 4,4 millions d'euros en 2005, disposant d'un portefeuille de stock-options estimé alors à 250 millions d'euros, ayant bénéficié d'une prime de 13 millions à l'abandon de ses fonctions exécutives, Antoine Zacharias avait même imaginé recevoir une commission de 8 millions sur la vente des Autoroutes du sud de la France (ASF) à l'Etat ! «Zacharias, ça va comme ça !» s'était alors exclamé un administrateur de Vinci, pendant le conseil destiné à solder ses comptes. Désavoué alors, il avait, en un coup de sang, démissionné de toutes ses fonctions, perdant dans la foulée une partie de ses stock-options, qu'il n'a jamais pu récupérer devant les tribunaux. Un manque à gagner de 81 millions d'euros de plus-values.
Après ses contre-attaques infructueuses, Antoine Zacharias se retrouve à son tour dans le box des prévenus. Selon l'AFP, la citation du parquet porte en particulier sur les plans de stock-options réalisés par l'ancien président du groupe en 2004, 2005 et jusqu'au 1er juin 2006, correspondant à une plus-value estimée à 92,4 millions d'euros. Mais la justice lui reprocherait aussi d'avoir fait modifier la composition du comité des rémunérations de Vinci afin d'obtenir une hausse de son salaire variable, percevant ainsi au total 7,5 millions d'euros de rémunérations complémentaires, en 2004 et 2005. Cette modification de calcul aurait aussi, selon le parquet, servi de base à l'évaluation de sa prime de retraite (2,14 millions d'euros par an).
Son avocat, qui a déclaré être «très surpris» par cette mise en accusation, devrait faire valoir que toutes ces rémunérations ont été avalisées par le conseil d'administration et les assemblées générales de Vinci. Pointer du doigt la responsabilité des administrateurs permettrait d'exonérer Antoine Zacharias des siennes. En cas de condamnation, l'ancien patron de Vinci devrait, compte tenu de la jurisprudence, échapper à la prison ferme. En revanche, il pourrait être contraint de rembourser tout ou partie de ses émoluments.
Total sur deux fronts
Dans les deux affaires judiciaires qui poursuivent Total- naufrage de l'Erika en 1999 et explosion d'AZF en 2001 -, c'est la personne morale qui est en cause. Thierry Desmarest, président du conseil d'administration, et Christophe de Margerie, directeur général, ne risquent rien à titre personnel.
Dans l'affaire AZF, le tribunal a prononcé le 18 novembre la relaxe générale des prévenus faute de pouvoir prouver que les «fautes organisationnelles» de l'industriel Grande Paroisse (groupe Total) étaient la cause de la catastrophe qui avait fait 31 morts. L'ancien directeur de l'usine, Serge Biechlin, et Grande Paroisse ont donc été relaxés «au bénéfice du doute», alors que le ministère public avait requis trois ans de prison avec sursis et 45 000 euros d'amende contre l'ancien directeur, et 225 000 contre Grande Paroisse. Le parquet de Toulouse a aussitôt décidé de faire appel du jugement. «Dans toutes les affaires le parquet fait appel, commente maître Soulez-Larivière, avocat de Total, cela n'a rien de surprenant.» Le risque ? «Nous espérons la relaxe», résume l'avocat. Le naufrage de l'Erika est plus embarrassant pour Total. Cette fois-ci, c'est le groupe qui a fait appel du jugement de l'an dernier où le tribunal avait reconnu la responsabilité du pétrolier. Total risque deux amendes de 375 000 euros.
Les indemnités civiles (192 millions d'euros) ont déjà été versées. Thierry Desmarest et Christophe de Margerie ont été cités comme témoins, mais l'avocat général n'a rien requis contre eux.
Jean-Pierre de la Roque , source: Challenges
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez vos impressions