C'est l'histoire d'un document explosif. Une bombe qui risque d'être au centre des débats de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur l'affaire de délits d'initiés d'EADS, dès l'ouverture de la procédure lundi 23 novembre au matin. Le document ? Un procès verbal d'audition daté du 7 février 2007. Il s'agit de la déposition de Christophe Bédier, associé au cabinet de stratégie McKinsey, dans le cadre d'une plainte contre X déposée en 2006 par un petit actionnaire, Albert Torjman, pour délits d'initiés chez EADS.
La déposition est d'importance : Christophe Bédier, alors associé au bureau de Paris et responsable de l'activité Aerospace en Europe du cabinet, avait été mandaté à la mi-décembre 2005 par Airbus pour expertiser et améliorer, avec son équipe de consultants, les méthodes de câblage électrique de l'A380 à l'usine d'Hambourg. Celles-là même qui par leurs défaillances, provoqueront le séisme des retards à répétition de la production des très gros porteurs d'Airbus.
Bref, Christophe Bédier ressemble fort au témoin idéal. Spécialiste reconnu de l'aéronautique. Présent à Hambourg de janvier à juin 2006, en pleine période de levée de la plupart des exercices de stock-options par les dirigeants mis en cause par l'AMF. En contact permanent avec la direction du programme, Alain Flourens, et même avec le patron d'Airbus de l'époque, Gustav Humbert, à qui McKinsey remettra en juin 2006 un premier rapport sur les retards de câblage, dévoilé par Challenges fin septembre dernier. Seulement voilà : ni lui, ni aucun membre de son équipe ne seront entendus par les enquêteurs de l'AMF. Les avocats de la défense s'en étrangleraient presque : "Au nom de quoi se priver de témoignages d'experts du secteur ?, pestait l'un d'eux en septembre. D'une façon, ou d'une autre, ces témoignages vont devoir sortir".
Que dit ce fameux PV ? Christophe Bédier y assure qu'au 1er mars 2006, "personne chez Airbus et McKinsey n'avait mesuré réellement la profondeur et l'ampleur du problème et ne pouvait anticiper les conséquences sur le planning" de livraison. C'est quasiment mot pour mot, la ligne de défense des cadres mis en cause par l'AMF. Ces derniers ont toujours soutenu qu'en mars 2006, date de la deuxième vague d'exercice de stock-options par les dirigeants, il était impossible de cerner le caractère exceptionnel des retards de câblage de l'A380, qui restaient donc, selon les avocats, totalement dans la norme des programmes aéronautiques de ce type. Christophe Bédier le confirme sans ambiguïté dans sa déposition : "A cette date, (1er mars, NDLR) il n'y avait pas les évidences techniques suffisantes permettant de conclure de manière irréfutable que le programme était rattrapable ou pas". Il met en évidence une " myopie très importante sur la profondeur des causes racines du problème de l'A380". Et cite même, toujours de mêmes sources l'exemple de l'A340, objet de retards finalement rattrapés.
D'où la question fondamentale : l'AMF a-t-elle sciemment occulté cette pièce qui contredit totalement certains conclusions de son enquête, notamment la pleine connaissance par les dirigeants d'Airbus d'un retard dans le planning de livraison au 1er mars ? Mystère.
Le problème, c'est que l'AMF, quand bien même elle le désirerait, ne pourra jamais entendre Christophe Bédier. Il est décédé au début de l'année. Le PV de son audition n'en a que plus de valeur. Il figure, c'est une certitude, dans le dossier d'instruction de l'enquête pénale, qui poursuit son cours parallèlement à l'avancée de la procédure AMF. De source proche de l'AMF on explique que "ce document doit être pris avec recul, McKinsey avait tout intérêt à nier les retards".
La défense n'est pas de cet avis. Elle soutient aussi que d'autres pièces, notamment celles concernant la vente de la participation du groupe BAE dans Airbus, apportent de l'eau à son moulin en montrant que le groupe britannique ne saisissait pas, lui non plus, la nature structurelle des retards de câblage au moment de céder ses 20% de l'avionneur à EADS. Quant à Noël Forgeard, passible de la plus lourde amende (plus de 5 millions d'euros), il aurait la preuve que sa décision de vente était bien antérieure à mars 2006. Pas de doute : la semaine prochaine s'annonce bouillante dans la salle des délibérations de la commission des sanctions de l'AMF, place de la Bourse.
Par Vincent Lamigeon, journaliste à Challenges, vendredi 20 novembre
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